Le 2 décembre est la journée mondiale pour l’abolition de l’esclavage. Une journée destinée à actualiser le combat contre toutes les formes d’esclavage moderne. C’est le 2 décembre 1949 que l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté la Convention pour l’abolition de la traite des êtres humains.
A l’occasion de la journée de commémoration de l’abolition de la traite, les images d’un marché aux esclaves en Libye où des hommes noirs sont exhibés avant de se voir fixer un prix viennent à nouveau hanter les consciences. Ces images prises de nuit et diffusées par la chaîne américaine CNN le 13 novembre dernier n’étaient pourtant pas les premières: de nombreuses ONG en possédaient déjà depuis plusieurs mois. Mais parce le marché est le lieu où l’on achète et vend des marchandises, le marché aux esclaves cristallise par excellence ce qu’est devenu l’homme pour d’autres hommes: une marchandise.
Il y a deux ans, l’organisation terroriste Etat Islamique avait conscience de l’effet que produirait la vente en place publique de femmes chrétiennes ou yézidies. Ces femmes valaient un prix et devenait la propriété d’un maître. Alors que l’on commémore de l’abolition de l’esclavage, ces informations délivrées par quelques images nocturnes sidèrent et semblent signer une terrible régression dans l’histoire du respect des droits humains.
Esclaves de statut ou de condition? L’islam et le christianisme face à l’esclavage
Pour les associations qui repèrent ces pratiques à travers le monde, l’esclavage n’a pourtant jamais vraiment disparu. Mais il n’épouse plus la forme d’esclavage à laquelle nous pensons: un homme attrapé de force, vendu à un maitre, devenant propriété de celui-ci, qui a sur lui droit de vie ou de mort. Cette forme d’esclavage est rare aujourd’hui, en ce sens qu’elle implique une disparition totale d’un être humain sous la possession d’un autre, au même titre qu’un meuble.
Le dernier pays au monde à avoir aboli cette forme d’esclavage est la Mauritanie en 1980. Dans ce pays subsistent cependant encore aujourd’hui quelques dizaines de milliers d’esclaves, vivant souvent auprès de campements nomades, qui naissent et meurent sans jamais avoir eu accès à une identité civile ou même à la propriété d’un objet, y compris de leurs propres enfants, lesquels sont la propriété du maître!
En 2008, le Mauritanien Biram Ould Dah, fonde l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) et reprend la lutte pour libérer ces hommes et femmes d’un esclavage qui persiste en raison de la non application de la loi. L’IRA s’insurge contre les autorités musulmanes du pays qui se contentent d’encourager l’affranchissement sans jamais prononcer de condamnation. Rappelons à cet égard que l’Eglise catholique a elle-même attendu le 19e siècle pour prononcer une condamnation sans équivoque de la traite et de la mise en servitude et que cette ambiguïté l’a conduite à de nombreux actes de repentance dans les années ‘90.
Dans son livre « Esclavage en terre d’islam » (Fayard 2007), l’anthropologue Malek Chebel rappelle qu’en terre d’islam, l’esclave a souvent eu un rôle social et familial, là où l’esclave de la traite occidentale pratiquée par les Européens n’avait qu’une fonction économique. Nombreux sont d’ailleurs les pays musulmans où les familles vivent avec, en leur sein, un domestique – telles les bonnes venues d’Asie au Liban ou d’Afrique subsaharienne au Maroc. Mais même si leurs conditions de vie sont proches de celles d’un esclave, ces personnes ont souvent des papiers, une famille libre au loin et une existence sociale préalable. « Il y a une différence entre l’esclave de condition et de statut », rappelle Biram Ould Dah. « Le premier vit la condition d’un esclave à un moment de sa vie, le second nait et meurt sous la domination d’un autre« .
La Libye, un goulot d’étranglement
Les images de marché diffusées par CNN rappellent donc la forme la plus radicale de l’esclavage. Pourtant, sans vouloir minimiser leur horreur, les Africains en Libye ainsi que les femmes chrétiennes ne peuvent, à ce stade de nos connaissances, être qualifiées d’esclaves de statut. « La diminution du nombre de passages en Méditerranée entre les côtes libyennes et l’Italie a créé un goulot d’étranglement qui a été propice à la formation de marchés où les passeurs vendent les hommes, au lieu de leur prendre de l’argent pour la traversée« , explique le politologue et spécialiste des mafias Fabrice Rizzoli.
Une fois vendus, ces hommes vont-ils être attachés à un maître ou mis au travail forcé sur un chantier, ou encore destinés à la prostitution? Les réponses à ces questions restent ouvertes. Le Comité contre l’Esclavage Moderne énumère les formes très variées que peut prendre l’esclavage aujourd’hui: cela va de l’homme qui est enchainé à son travail pour rembourser sa dette, aux femmes qui sont vendues de pays en pays pour la prostitution, en passant par la mendicité forcée que l’on trouve dans nos rues.
Selon les études de ce Comité, ce n’est pas l’Afrique qui est la plus touchée par l’esclavage moderne, mais l’Asie où les personnes vivant dans des conditions d’esclavage se comptent par millions. Mais il est plus difficile d’avoir des données exactes sur ces pays à la souveraineté affirmée que sur les pays du Sahel qui sont des Etats très fragilisés. La minorité musulmane des Rohingyas qui continue d’être victime d’une purification ethnique en Birmanie, est l’un des exemples récents les plus tragiques. Des hommes rohingyas ont ainsi été découverts enchainés sur des bateaux de pêche thaïlandais où ils avaient été embarqués de force, mis au travail et jetés à la mer lorsqu’ils étaient épuisés.
Toujours selon le Comité, la principale forme d’esclavage moderne est le travail forcé pour rembourser une dette. En Chine, en Inde ou au Pakistan, ils sont des millions dans cette situation, souvent issus des campagnes les plus pauvres et des basses castes. Mais il ne faut pas nécessairement aller chercher loin: dans les ateliers clandestins en Europe vivent des centaines de milliers de personnes contraintes à un travail forcé pour rembourser leur passeur et cela parfois pendant des années.
Mais là encore, il faut faire la distinction entre des personnes qui sont parties en Europe et restent en contact avec leur famille d’origine, laquelle attend de l’argent, et des personnes qui ont été entrainées dans un système criminel organisé où l’argent récolté vise à enrichir les milieux mafieux. « Dans un cas, il s’agit d’une personne qui a payé des passeurs et s’inscrit ensuite dans une pratique sociale qui fait vivre un village, dans l’autre d’une personne victime d’une exploitation criminelle organisée qui vise à l’accumulation de capital« , souligne Fabrice Rizzoli.
A l’heure où l’on commémore l’abolition de la traite, de nouvelles formes d’esclavage sont apparues. A l’image du monde moderne, elles se sont complexifiées. Mais l’injustice vécue par des millions d’hommes que l’on soumet à la volonté d’autres demeure tout aussi inacceptable.
Laurence D’HONDT.
Fabrice Rizzoli, La mafia de A à Z, Tim Buctu éditions, 2015
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