Bien que l’Europe soit considérée comme le continent où la sécularisation est la plus avancée, les convictions religieuses y connaissent un regain d’actualité. Mais il manque cependant de statistiques fiables sur ce nouveau paysage religieux européen.
« En tant que pouvoir constitutif de l’État, la religion a fait son temps, mais en tant que force sociale, les religions jouent un rôle tout à fait déterminant pour l’Europe. » C’est ainsi que le sociologue des religions Martin Riesebrodt résume l’essentiel de l’évolution du paysage religieux européen. Une citation partagée par Yasemin El-Menouar, de la Fondation Bertelsmann, dans son analyse paru dans le bulletin Europe-infos de la Commission des conférences épiscopales de l’Union européenne (COMECE).
Selon cet auteur, le thème de la religion a revêtu une nouvelle importance sociale et politique et rend nécessaire de renégocier le rapport entre religion et société. Mais pour cela, il est nécessaire que les connaissances relatives au paysage religieux de l’Europe soient plus précises que celles dont nous disposions jusqu’à présent. Yasemin El-Menouar se dit d’emblée surpris par le fait que, compte tenu des débats autour de l’influence de la religion en Europe, les données concernant l’appartenance religieuse sont incertaines, peu actualisées et instables. En outre, beaucoup de statistiques religieuses se contredisent, notamment parce qu’une fois la revendication porte sur l’appartenance objective, une autre fois sur l’appartenance subjective.
Ainsi, une enquête Eurobaromètre de 2015 conclut que la proportion de chrétiens dans les pays de l’UE représente actuellement 72% de la population (45% de catholiques, 11 % de protestants, 10% d’orthodoxes et 6% autres), que celle des personnes sans confession se situe à 24 % (10 % d’athées, 14 % d’agnostiques). Le nombre des musulmans est estimé à 1,8%, celui des juifs à 0,3%, celui des bouddhistes à 0,4% et celui des hindous à 0,3%. Treize des 28 États-membres de l’Union (avec plus de 60%) peuvent être classés comme étant à dominante catholique, trois comme étant à dominante orthodoxe et deux à dominante protestante. En République tchèque, les personnes sans affiliation religieuse sont majoritaires avec 64,4%.
Auto-évaluation religieuse
Il en va différemment avec une enquête de la société berlinoise d’étude de marché Dalia Research réalisée en décembre 2016, dont les questions ont porté explicitement sur l’auto-évaluation religieuse. Il en ressort que 50% des citoyens européens se définissent comme chrétiens (42% se disent catholiques, 8% protestants). 38% des personnes interrogées déclarent qu’elles ne sont pas religieuses. 3% se reconnaissent musulmanes, 1% juives, 1% bouddhistes; et 8% professent d’autres croyances.
Si l’on regarde les six plus grands pays de l’UE, la plupart de ceux qui se proclament catholiques vivent en Italie (73%), en Pologne (71%) et en Espagne (53%). En France (58 %) et en Grande-Bretagne (54%), la majorité de la population se dit sans confession. En Allemagne, en revanche, le nombre des protestants est proportionnellement plus élevé (26%); il y en a environ autant que de catholiques (25 %). La France accueille la plus forte proportion de musulmans (7%), suivie de l’Allemagne (5%) et de la Grande-Bretagne (4%).
La perspective paneuropéenne
Si l’on ne se limite pas uniquement aux 28 pays de l’Union européenne (507 millions d‘habitants), mais que l’on considère l’ensemble des pays européens (820 millions d‘habitants), il s’ensuit des modifications, notamment par rapport à la question de l’appartenance de l’islam à l‘Europe. D’après l’European Values Study (EVS) de 2008, il est vrai en effet que, dans les 47 pays européens pris en compte, les catholiques (37%) et les chrétiens orthodoxes (31%) dominent; suivent les musulmans (15%) numériquement encore devant les protestants (14,5%). Cinq pays européens comptent une majorité musulmane.
Selon les prévisions du Pew Research Center, le christianisme s’imposera à l’avenir également comme la plus grande religion en Europe; toutefois, le nombre des chrétiens enregistrera un recul d’environ 100 millions de personnes pour atteindre un chiffre de 454 millions d’ici à 2050. Cela correspond à un pourcentage d’encore 65,2% contre 74,5% aujourd’hui. En contrepartie, la proportion des musulmans dans la population européenne passera de 5,9% à 10,2%, celle des personnes sans confession de 18,8% à 23,3%. Le nombre des juifs en Europe connaîtra une légère baisse, passant de 1,4 millions (0,2 pour cent) à 1,2 millions de personnes.
Nouvelle pertinence de la religion
Selon Yasemin El-Menouar, les chiffres montrent que la religion en Europe n’est pas du tout en recul. Au contraire, le paysage religieux est en train de changer. Il y a, d’une part, les processus de transformation rapides que vit actuellement l’islam en Europe et qui relancent la réflexion sur l’identité chrétienne. Des communautés et des groupes chrétiens autoritaires se font entendre avec plus de vigueur, mais également des groupes éloignés de la religion. D’autre part, la migration accélère la pluralisation religieuse et contribue notamment à une croissance des communautés chrétiennes évangéliques. En 2012, 42% des migrants non européens dans l’UE étaient chrétiens; 39% étaient musulmans.
P.G./COMECE