L’exposition itinérante «L’Islam, c’est aussi notre histoire!» s’arrête à Bruxelles du 15 septembre au 21 janvier 2018. Ce projet s’intéresse aux liens qui se sont tissés entre l’Islam et l’Europe depuis près de treize siècles.
Les musulmans sont arrivés dans le bassin occidental de la Méditerranée au 8e siècle, lors de leur conquête de la péninsule Ibérique, où ils se sont maintenus huit siècles durant. La chute de Grenade, en 1492, met un terme à la présence musulmane à l’ouest du continent. A l’est, les Turcs se sont solidement implantés dans les Balkans, qu’ils incorporent dans un vaste empire.
L’exposition, inaugurée sous un format compact à Sarajevo en juin dernier, a déjà accueilli près de 12.500 visiteurs. Aujourd’hui, c’est au tour de la capitale belge de découvrir la toute dernière création du Musée de l’Europe.

A bas les cieux, de Naji Kamouche, Crédit C. Kempf
L’exposition se structure autour d’un message principal: la présence musulmane en Europe est aussi ancienne que l’Islam lui-même. Elle nous fera découvrir les influences croisées entre les deux civilisations, une histoire partagée faite d’ombre et de lumière. Divisée en quatre sections, l’exposition nous montre les traces visibles aujourd’hui que cette rencontre a produites au fil des siècles. Résolument actuelle et tout public, la scénographie invite à une expérience intellectuelle et émotionnelle complète combinant objets de musée et du quotidien, œuvres d’art anciennes et contemporaines, multimédia, décors, musique et installations scénographiques. Une dizaine d’institutions muséales comme le Louvres ou le Brooklyn Museum ont prêté des pièces pour les besoins de l’exposition. Parmi les pièces contemporaines, cet étrange et dramatique ring de boxe, oeuvre de Naji Kamouche, plasticien né à Mulhouse en 1968. Cette installation réalisée à partir de tapis tels qu’on en trouve dans les intérieurs arabes est une pièce charnière dans l’oeuvre de l’artiste qui s’est spécialisé dans l’utilisation d’objets réinventés, recréés, reproduits ou détournés dans une perspective mémorielle et poétique.
Pour parler de cet événement, nous nous sommes entretenus avec le Professeur Elie Barnavi, directeur scientifique de l’exposition. Professeur émérite de l’université de Tel-Aviv, historien et diplomate, Elie Barnavi a notamment été ambassadeur d’Israël en France. Aujourd’hui, il est conseiller scientifique auprès du Musée de l’Europe.
Sophie Delhalle: A qui doit-on l’initiative de cette exposition?
Pr. Elie Barnavi: Il s’agit d’une initiative propre au Musée de l’Europe. Vu la situation actuelle, cette exposition semble de circonstance or elle a nécessité trois ans de travail et de réflexion. C’est donc une vieille affaire. Ce projet faisait partie de notre premier programme d’expositions à créer que nous avons élaboré lors de la création du Musée en 1998. Les projets devaient répondre à deux critères: parler de l’Europe ou des relations entre l’Europe et d’autres civilisations. Le thème des rapports entre l’Europe et l’Islam figurait donc dès le départ dans nos projets et je crois que cette exposition vient à son heure. Dans une situation grave et difficile comme celle d’aujourd’hui, nous apportons, me semble-t-il, un regard utile.
S.D.: Comment avez-vous abordé cette exposition? comment l’avez-vous conçue?
Pr. E.B.: Le défi était de raconter une histoire de treize siècles. Nous avons donc choisi des moments privilégiés où les deux civilisations européenne et musulmane se rencontrent. Nous avons opté pour l’angle des héritages correspondant à quatre époques. Au Moyen Age, nous évoquons l’héritage arabo-andalou. Cette période sera symbolisée par une bibliothèque qui servira de décor à cette partie de l’exposition. Nous voulions mettre en avant l’héritage scientifique, des savoirs apportés par la civilisation musulmane. Ensuite, nous présentons l’héritage ottoman sous une tente comme symbole d’une période plus militaire, administrative. Enfin, l’héritage colonial sera exposé sur le quai d’un port pour matérialiser les migrations. La période contemporaine proche fut la plus complexe à concevoir vu le contexte de violence que nous connaissons actuellement. Mais je pense que c’est surtout cette partie consacrée à l’Europe et l’Islam aujourd’hui qui attirera et intéressera le grand public.

Prière de l’absent, de Kamel Yahiaoui, technique mixte sur tapis de prière (c) photo: Laurent Zylberman
S.D.: Comment avez-vous envisagé cette dernière partie de l’exposition?
Pr.E.B.: Nous avons choisi un angle plus artistique en mettant en avant des œuvres d’art contemporaines d’artistes musulmans et non-musulmans. Le but est de traiter de questions essentielles que se posent les citoyens en les illustrant par des œuvres d’art. Notre souhait est de susciter la réflexion chez le visiteur. D’une certaine façon, nous lui exposons le problème et lui proposons de réfléchir par lui-même à des solutions pour parvenir à une cohabitation harmonieuse entre les différentes cultures et religions.
S.D.: Pouvez-vous nous expliquer la spécificité d’une « exposition de civilisation » comme celle-ci?
Pr. E.B.: Une exposition de civilisation tente de photographier une civilisation donnée à un moment ou une période donnés. C’est donc un travail très complexe et très différent des expositions d’art auxquelles nous sommes plus habitués. Il s’agit d’une vaste entreprise dont l’objet d’étude est une civilisation dont il faut pouvoir illustrer tous les aspects (artistique, politique, culturel, sociétal…).
S.D.: A qui s’adresse cette exposition?
Pr.E.B.: Notre volonté a été de rendre cette exposition accessible à tous malgré l’exigence scientifique et littéraire de ce type de réalisation. Si seuls les professeurs de faculté y trouvaient leur compte, ce serait un échec pour nous. Notre exposition a été conçue pour instruire et divertir tout le monde, c’est pourquoi nous avons opté pour une lecture à plusieurs niveaux. Nous sommes en contact avec des écoles et nous organisons une journée «professeurs» pendant laquelle ils peuvent venir préparer la visite de l’exposition avant de venir avec leur classe. Ils recevront également le dossier pédagogique pour prolonger la visite en classe. Plus nous accueillons de jeunes, plus notre satisfaction est grande.
Sophie Delhalle
Infos pratiques:
L’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire! » est à voir jusqu’au 21 janvier à l’Espace Vanderborght, Rue de l’Ecuyer 50,
1000 Bruxelles, du lundi au vendredi de 9h30 à 17h30; weekend, jours fériés et vacances scolaires belges de 10h à 19h.
Fermé exceptionnellement le 25 décembre et le 1er janvier.