Pour transporter des marchandises ou pour circuler en Europe, une partie de la population vit sur un bateau. Ces familles aux besoins spécifiques pouvaient, jusqu’à présent, se ressourcer dans des bateaux-chapelles. Visite de l’un de ces lieux, implanté sur la Meuse.
Replongeons-nous dans le contexte d’il y a quelques dizaines d’années. Avec la rentrée scolaire, de nombreuses familles de bateliers étaient confrontées à une douloureuse séparation. Les enfants devaient rejoindre un internat, à terre, pendant que les parents et éventuellement les grands-parents poursuivaient leurs périples sur les cours d’eau navigables. Certes, avec l’arrivée d’internet, certains élèves peuvent désormais suivre des cours en ligne. Il reste vrai que toute la famille doit s’acclimater au rythme et au mode de vie sur le bateau.
Sur ces embarcations, le travail occupe hommes et femmes à des tâches complémentaires. La marinière, par exemple, peut être amenée à effectuer les manœuvres, puis à aider au chargement du bateau, avant de remplir la comptabilité… et de nettoyer les carreaux couverts de poussière à chaque transport de sac de ciment ou de charbon. C’est un mode de vie qui s’est souvent transmis de génération en génération. Beaucoup de bateliers avaient grandi sur une embarcation avant d’en piloter une à leur tour. Dans la plupart des cas, la péniche devient un membre à part entière de la famille. Elle a un nom, elle est respectée et entretenue… jusqu’à ce qu’un accident la rende inutilisable ou encore que la mise aux normes du bateau ne coûte trop cher.
Quelques centaines d’hommes et de femmes poursuivent cette profession en Belgique. Avec un réseau fluvial long de 1.532 kilomètres, le Royaume de Belgique est l’un des pays européens les mieux équipés en canaux de navigation. Le transport maritime de marchandises représente une alternative écologique et économique aux voies routières et ferroviaires. Un peu plus de 39 millions de tonnes ont transité sur les voies fluviales wallonnes pendant l’année 2016. Mais cela induit une forte pression sur les bateliers eux-mêmes qui doivent répondre à des délais très courts et se faire concurrence pour obtenir quelques commandes. Une attitude qui contraste avec l’habitude de solidarité entre les familles nomades sur l’eau, qui avait lieu le siècle dernier. La solidarité naissait peut-être de l’isolement dont les bateliers sont victimes de la part de la société. Qui comprenait leur mode de vie puisque ces familles n’étaient visibles que de manière épisodique?
Des visiteurs de toute l’Europe
A Liège, Mgr Van Zuylen s’en est préoccupé il y a une cinquantaine d’années. L’ancien évêque qui résidait à l’évêché, en bord de Meuse, s’est demandé qui, dans l’Eglise, apportait ses soins aux navigateurs qu’il voyait passer sous ses fenêtres. La détermination de l’évêque a permis qu’un aumônier soit nommé pour accompagner les familles vivant sur des bateaux. C’est ainsi qu’un religieux issu de la famille franciscaine a été désigné pour être présence visible et stable auprès de ces croyants de passage. Depuis 47 ans déjà, un bateau-chapelle a été mis à l’eau au bout du quai Godefroid Kurth. Repérable par la croix en métal qui surmonte le pont, le bâtiment accueille les marins venus des Pays-Bas, de Flandre, de Wallonie, de France ou de plus loin encore. Une démarche identique a eu lieu à Marchienne-au-Pont qui est un autre point de passage des bateaux en Belgique. A Anvers, Hasselt et Gand, des bateaux-chapelle ont aussi été installés en présence d’un aumônier et d’une équipe de bénévoles.
La tâche n’était pas mince au démarrage de cette mission: les familles navigantes avaient autant besoin d’un soutien administratif et social que d’un accompagnement religieux. L’exemple le plus connu est celui d’une adresse postale pour réceptionner un courrier. Le bateau-chapelle pouvait servir de relais. Pour les bateliers venus de l’étranger, notamment ceux habitués à une plus grande pratique religieuse, la présence d’un aumônier était réconfortante et utile. C’est le premier lieu où ils venaient chercher des renseignements sur la vie locale le long du cours d’eau. C’est aussi une adresse où ils viennent volontiers assister à la messe le dimanche.
Avec cette vie de nomade sur l’eau, il aurait également été difficile pour des parents de s’inscrire à une démarche de longue durée pour préparer leurs enfants au baptême ou à la confirmation. Un aumônier conscient de cette problématique était donc précieux pour accueillir les familles et célébrer les sacrements dans un espace similaire à celui où elles vivent. Le bateau-chapelle de Liège ne déroge pas à cette règle: la moitié de l’embarcation est réservée aux célébrations avec un emplacement judicieux de l’autel au milieu de la pièce pour que les fidèles soient à distance équivalente du célébrant; l’autre partie du bateau accueille les visiteurs pour un moment plus convivial, autour d’un café ou d’une bière locale. « On y passe parfois cinq heures le dimanche, confie un des bateliers de passage, et c’est le prêtre qui nous met à la porte après 15h! »
« Vous êtes l’Eglise »
Les bateliers sont généralement isolés sur leurs routes. Ils apprécient d’autant plus ces rendez-vous conviviaux où ils retrouvent d’autres familles dans les mêmes situations. C’est l’occasion de donner des nouvelles des uns et des autres, des naissances, mais aussi des décès ou de la maladie qui peut frapper un autre nomade de la mer. L’aumônier général entend souvent cette appréciation: « Pour nous, vous êtes l’Eglise. » Depuis presque cinquante ans, en effet, un prêtre ou un bénévole est présent auprès d’eux, parfois pour visiter les navigateurs les plus âgés, ou pour accueillir les plus jeunes dans une démarche de recherche. Si certains manquent de culture religieuse, proposant par exemple à un bébé de goûter l’hostie (« Tiens, c’est une friandise! »), d’autres sont attachés à ce lien spirituel où ils se sentent enfin reconnus dans leur mode de vie.
La démarche de chapelle sur l’eau subit malheureusement une double régression: d’une part, le nombre de familles navigantes diminue d’année en année, même si le métier recrute encore volontiers des jeunes candidats. Certes, quelques matelots sont formés à Huy, où se trouve la seule école de formation francophone pour futurs marins. D’autre part, les services assurés par l’équipe d’aumônerie sont de moins en moins sollicités. Plusieurs services sociaux assurent, à terre, ce que les bateaux-chapelle fournissaient. Et la pratique religieuse est, dans ce domaine également, en pleine diminution. A Marchienne-au-Pont, la messe n’est plus assurée chaque semaine mais seulement pour les grandes fêtes et les occasions spéciales. Dans plusieurs villes de Flandre, la question du renouvellement des aumôniers se pose pour l’avenir puisque les prêtres ont atteint la limite d’âge. Ceux qui se porteraient volontaires pour une présence auprès des bateliers seront les bienvenus.
Anne-Françoise de BEAUDRAP
Messe anniversaire le 3 septembre
Depuis 47 ans, le bateau-chapelle existe et travaille à Liège. Avec toujours le même aumônier, les mêmes bénévoles… des milliers de personnes y ont trouvé une deuxième famille. Pour célébrer cette aventure qui relie 1970 à 2017, une messe en plein air est organisée le dimanche 3 septembre à 14h, (rendez-vous au bateau-chapelle) suivie d’une réception. Un rendez-vous précieux pour les amis et connaissances de ce lieu convivial, qui pourrait être le chant du cygne de cette chapelle menacée elle aussi de fermeture.