Alors qu'il arrivait à échéance ce dimanche 2 juillet 2017, le pape François n'a pas renouvelé le mandat du Cardinal Gerhard Ludwig Müller (photo) à la tête de la très importante Congrégation pour la doctrine de la foi. Un fait inhabituel dans l'Histoire récente de l'Eglise. Le cardinal allemand laisse la place à l'archevêque espagnol Luis Ladaria Ferrer, jusqu'ici "numéro deux" de la Congrégation.
D'après le communiqué publié ce samedi 1er juillet par la salle de presse du Saint-Siège, le pape François remercie le Cardinal Müller pour ses cinq années de service en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (CDF), mais également comme président de la Commission pontificale Ecclesia Dei - chargée des relations avec la Fraternité traditionaliste Saint-Pie X -, de la Commission théologique internationale et de la Commission pontificale biblique.
Les raisons du non-renouvellement de son mandat n’ont pas été précisées dans le communiqué. Il s'agit d'un fait inhabituel, car jamais, au cours de ces dernières décennies, un préfet de cette Congrégation n'a quitté ce poste important avant ses 75 ans, l'âge officiel de la "retraite" pour les évêques. Agé de 69 ans seulement, le cardinal Müller n'a, pour le moment, été nommé à aucune autre fonction.
Le cardinal Gerhard Ludwig Müller avait été appelé à Rome par Benoît XVI le 2 juillet 2012, pour occuper cette fonction, alors qu’il était évêque de Ratisbonne. Quelques mois après son élection au siège de Pierre, le pape François l’avait confirmé dans sa charge, et l’avait créé cardinal en février 2014, lors du premier consistoire de son pontificat.
La CDF est l'un des dicastères - plus ou moins équivalent à des "ministères" - les plus importants du Saint-Siège, avec pour mission principale de "protéger le dépôt de la foi et de promouvoir la doctrine" (comme stipulée par la Constitution apostolique Pastor Bonus de 1988).
Divergences?
Dans un bref entretien au journal allemand Allgemeine Zeitung, ce même samedi 1er juillet, le cardinal allemand est revenu sur la décision du pape François de ne pas prolonger son mandat à la tête de la CDF. "Il n’y avait pas de divergences de vue entre le pape François et moi", a-t-il tenu à préciser. Il a également déclaré qu’il ne connaissait pas la raison spécifique de cette décision, mais que le pape l’avait informé de son désir de changer une pratique courante à la Curie, qui consistait à renouveler systématiquement et tacitement les mandats de 5 ans. "J’ai été le premier à qui cela a été appliqué", a commenté le cardinal Müller.
Pourtant, lors des deux synodes sur la famille, en 2014 et 2015, mais également à la suite de la publication de l'exhortation post-synodale Amoris laetitia en 2016, le cardinal Müller avait fait part de ses réticences à l'égard de certaines ouvertures. Il avait ainsi mis en garde contre les "interprétations confuses" qui pouvaient être faites du chapitre 8 de l'exhortation, dans lequel le pape appelait à opérer un discernement pour que les personnes en situation dite "irrégulière", y compris les divorcés-remariés, puissent être mieux intégrées dans l'Eglise, et pour qu'elles puissent également, dans certains cas, accéder aux sacrements de l'eucharistie et de la réconciliation.
Dans une interview à la revue italienne Il Timone, parue début 2017, Gerhard Müller avait déclaré que "Amoris laetitia doit être clairement comprise à la lumière de toute la doctrine de l’Eglise", et que les évêques ne devaient pas interpréter ce texte "en fonction de leur propre compréhension de l’enseignement du pape". Il faisait ainsi allusion aux lettres pastorales des évêques argentins ou maltais qui, fin 2016, avaient formulé des critères de discernement pour l'accès des divorcés-remariés à la communion.
"Il n’est pas possible d’aller au-delà des déclarations du magistère quand il s’agit de déclarations regardant la foi divine catholique révélée", avait encore précisé le cardinal Müller dans cet entretien, se référant notamment aux encycliques Familiaris consortio (1981) et Veritatis splendor (1994) de saint Jean-Paul II. Selon le désormais ancien préfet de la CDF, l’enseignement de Familiaris consortio sur le fait que les couples de divorcés remariés doivent vivre dans la continence pour accéder à l’eucharistie, était toujours valable.
"Dubia"
Ces deux textes de Jean-Paul II avaient également été invoqués par les quatre cardinaux qui, en novembre 2016, avaient fait part de leurs "doutes" (dubia), dans une lettre ouverte, au sujet du chapitre 8 d'Amoris laetitia, demandant au pape de "dissiper toute ambiguïté". Le cardinal Müller, qui avait reçu une copie de cette lettre, refusa cependant de cautionner l'idée que le pape aurait eu besoin de "correction fraternelle" - comme le suggérait le cardinal Raymond Burke, l'un des signataires -, car il n'y avait "aucun danger pour la foi".
Entre-temps, le pape François lui-même avait adressé une lettre aux évêques argentins, dans laquelle il écrivait que le document qu'ils avaient publié exprimait "pleinement le sens du chapitre 8 de Amoris laetitia", et qu'il n'y avait d'ailleurs "pas d’autre interprétation". Après les évêques argentins et maltais, les évêques de Belgique ont également publié une lettre pastorale, le 24 mai dernier, établissant également les principes d'un discernement en vue d'ouvrir la possibilité de la communion, dans certains cas, aux personnes divorcées et remariées.
Pour rappel, Amoris laetitia précise que, si le remariage civil après un divorce demeure contraire à l'enseignement de l'Eglise, les personnes concernées ne sont pas nécessairement, et de façon permanente, en état de "péché mortel", et ce en raison de circonstances atténuantes possibles. Dans ce cas, ils ne doivent pas (plus) être systématiquement exclus des sacrements de l'eucharistie et de la réconciliation.
Sur le front de la lutte contre les abus sexuels, dont la CDF a la charge, celle-ci aurait manqué de proactivité. C'est ainsi que, fin décembre 2016, François a demandé au cardinal Müller le renvoi de plusieurs responsables de la Congrégation, dont le chef du bureau disciplinaire, remplacé en avril 2017 par un tenant de la politique de "tolérance zéro".
Un nouveau préfet
Depuis ce samedi 1er juillet, c'est l‘archevêque Luis Ladaria Ferrer, jusqu'ici secrétaire de la CDF, qui en est devenu le préfet. Il avait été nommé "numéro deux" de la Congrégation par Benoît XVI en 2008.
Juriste de formation, ce jésuite majorquin de 73 ans, premier membre de la Congrégation de Jésus à la tête de la CDF, a derrière lui une solide carrière de théologien. Façonné à l’Université Comillas de Madrid, à la faculté Sankt Georgen de Francfort, il a défendu en 1975, à l'Université Grégorienne de Rome, une thèse sur Le Saint-Esprit chez saint Hilaire de Poitiers. Il est ensuite revenu en Espagne enseigner à l’Université Comillas (1975-1984), puis reparti à Rome, comme professeur à la Grégorienne dont il a été vice-recteur.
Mgr Ladaria Ferrer a travaillé de près avec le cardinal Ratzinger, comme membre (1992) puis secrétaire général (2004) de la Commission théologique internationale. Benoît XVI lui confiera aussi en 2009 la supervision des discussions théologiques avec les lefebvristes: la conclusion d’un accord avec la Fraternité Saint-Pie-X devrait d’ailleurs être un des dossiers importants de la CDF dans l’année qui vient.
Le nouveau préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi bénéficie aussi de la confiance du pape actuel, qui l’avait nommé dans la commission visant à simplifier les procédures de reconnaissance de nullités de mariage, et à la tête de la commission d’étude sur le rôle des femmes diacres au début du christianisme.
C.H., avec Radio Vatican, La Croix, cath.ch
Photo: le cardinal Gerhard Ludwig Müller. Copyright Zenit/HSM