Malgré les attentats récents dans des églises coptes à Tanta et Alexandrie, le pape n’a pas hésité à confirmer son voyage pastoral en Egypte du 28 au 29 avril prochain. Il compte évidemment ne pas se désolidariser de la plus grande communauté chrétienne du Proche-Orient, mais il ne veut surtout pas manquer le rendez-vous avec le Grand Imam de la prestigieuse université d’Al-Azhar au Caire.
Pour Emilio Platti, père dominicain qui, depuis des décennies, réside plusieurs mois par an en Egypte, « Le vrai défi de l’Egypte n’est ni la politique ni la religion, mais la démographie et l’avenir socio-économique d’une population croissant à vitesse vertigineuse: il y avait 43 millions d’Egyptiens quand je suis arrivé là-bas pour la première fois il y a quarante-cinq ans. Il y en a plus de 95 millions aujourd’hui. »
Pourtant, l’objectif du voyage pontifical en Egypte est bel et bien politico-religieux: il s’agit, d’une part, de soutenir la population copte meurtrie par les attentats islamistes qui se multiplient, et d’autre part, – sinon surtout – de répondre à la visite du cheikh Ahmed Mohammed al-Tayyeb au Vatican le 23 mai 2016 (notre photo). Ce dernier est, en sa qualité de Grand Imam de l’université d’Al-Azhar, non seulement une des voix les plus influentes du sunnisme, mais il est aussi considéré comme une voix « modérée » du monde de l’islam.
Ratisbonne
« Répartis sur différents campus, Al-Azhar compte au Caire plus de cent mille étudiants, dont un grand nombre venant de l’étranger« , explique le professeur Platti. Il y a par exemple au moins trois mille étudiants venant d’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé au monde. C’est dire l’influence de cette université… « Notre Institut dominicain d’études orientales au Caire est impliqué depuis longtemps dans le dialogue entre Al-Azhar et le Vatican, auquel le discours de Benoît XVI à Ratisbonne de 2006 avait hélas mis fin. »
Mais entre-temps, l’ancien président de l’Université Al-Tayyeb a été nommé Grand Imam par le président Moubarak en 2010. Pour éviter de se faire éjecter par les Frères Musulmans après la chute de Moubarak en 2011, le cheikh Al-Tayyeb a eu l’intelligence, juste avant l’entrée en fonction de la nouvelle assemblée constituante dominée par les Frères Musulmans (après les législatives de 2011-12), de faire abolir la nomination du Grand Imam par le président. Sauf imprévu, Al-Tayyeb reste en fonction encore neuf ans, jusqu’à son 80e anniversaire.
« Il y a quatre grandes puissances musulmanes au Moyen-Orient: l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Egypte sunnites« , explique Emilio Platti. « Ce n’est donc pas par hasard que le pape se rend au Caire, la seule capitale musulmane où réside un réel interlocuteur. L’Occident se rend insuffisamment compte de l’importance de deux déclarations récentes d’Al-Azhar, dont la seconde (janvier 2012) insiste sur la liberté d’expression, de croyance, de création et de recherche scientifique. »
Soutenir les tentatives d’ouverture
Le professeur Platti ne prétend pas que le jeu est joué, bien au contraire. « Le Grand Imam a beaucoup d’adversaires au sein d’Al-Azhar, des traditionalistes ou des sympathisants des Frères Musulmans. Mais le pape François, à l’instigation du Président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran, a bien compris qu’il faut absolument soutenir les tentatives d’ouverture du cheikh Al-Tayyeb. C’est pourquoi le souverain pontife va prononcer l’allocution de clôture d’un congrès international sur la paix à Al-Azhar.«
Les Frères Musulmans restent une force redoutable en Egypte. Fondés dans les années trente du siècle précédent comme réponse traditionaliste au nationalisme de la monarchie et plus tard des présidents-militaires (Nassar, Sadate et Moubarak), les Frères restent populaires dans les quartiers pauvres des villes et à la campagne, à cause de leur réseau important d’œuvres sociales. Et ils restent par ailleurs convaincus que les Coptes sont, entre autres, à la base de la chute de leur président élu en 2012, Mohammed Morsi.
« L’armée reste la force la plus importante du pays, dit le professeur Platti, mais ce n’est pas elle ni les Coptes qui ont destitué Morsi; il s’est destitué lui-même! Une fois au pouvoir, les Frères Musulmans se sont avérés incapables de gérer les affaires de l’Etat, préoccupés comme ils l’étaient avec des dossiers idéologiques comme la fermeture de l’opéra du Caire ou les prescrits vestimentaires de la charia. Or les gens n’attendaient pas ça! Ils attendaient une meilleure gestion socio-économique et une ouverture démocratique.«
Place Tahrir
L’armée n’a repris le pouvoir que quand la foule est de nouveau descendue sur la place Tahrir au Caire. « Al-Sissi est un général autoritaire, mais son autoritarisme n’est pas comparable à celui de Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi ou Bashar al-Assad« , dit Platti. L’Eglise orthodoxe copte et son « Pape », Tawadros II, voulait se détacher de ce pouvoir. Mais, après les outrages sous les Frères Musulmans, elle s’est très vite ralliée au nouveau président militaire.
En janvier 2015 et janvier 2016, le Président Al-Sissi était aux côtés de Tawadros lors de la messe de la Nativité à la cathédrale Saint-Marc à Alexandrie; ainsi qu’après les attentats du dimanche des Rameaux. Cela ne fait évidemment qu’augmenter l’animosité des islamistes vis-à-vis de cette minorité chrétienne. Certains Coptes soupçonnent par ailleurs Al-Sissi et l’armée de ne pas vouloir vraiment les sécuriser. Le père Platti n’y croit pas. « Les forces de l’ordre égyptiennes ne sont pas capables à 100% de garantir la sécurité des Coptes. Pourtant à Alexandrie, ils ont bel et bien arrêté la terroriste avant qu’elle ne fasse plus de victimes.«
Benoit LANNOO
Le programme du pape en Egypte
L’Egypte sera le 18e voyage apostolique du pape François hors d’Italie (le 27e pays visité), et c’est la seconde fois qu’un pape se rend en Egypte, après la visite de Jean-Paul II en 2000. Au cours des deux jours de ce voyage, le pape prendra la parole cinq fois. Le premier discours aura lieu lors de la conférence internationale sur la paix à Al-Azhar (après l’intervention du Grand imam); le deuxième lors de la visite à Tawadros II ; le troisième devant les autorités de la nation. le lendemain 29 avril, François prononcera l’homélie de la messe avec les catholiques et il tiendra un discours devant le clergé et les consacrés.