Dans une tribune cinglante intitulée "Honte aux évêques qui n’appellent pas à voter contre Marine Le Pen", publiée dans le journal le Monde, le théologien Christian Delahaye déplore l'attitude de la Conférence des évêques de France qui ne donne aucune consigne de vote pour le deuxième tour de l'élection présidentielle. En soulignant que ce sont les seuls responsables confessionnels à faire tomber la digue anti-FN. Voici le texte de cette tribune.
«Chrétiens, nous ne supportons pas les mensonges du candidat de l’exclusion, du mépris et de la haine, notamment quand il détourne l’Evangile à son profit. Le projet de société qu’il [le candidat FN] propose n’a rien à voir avec le message d’amour et d’espérance du Christ.» Ainsi la Conférence des évêques de France (CEF) a-t-elle alerté contre le vote FN au deuxième tour de la présidentielle… en 2002.
Quinze ans plus tard, changement de pied épiscopal: la même Conférence des évêques de France, dans un communiqué publié au soir du premier tour, «n’appelle pas à voter pour l’un ou l’autre candidat». La dénonciation de la candidature «de l’exclusion, du mépris et de la haine» n’est plus à l’ordre du jour des dirigeants catholiques, lesquels persistent cependant à faire «la leçon aux responsables politiques», comme Le Monde le titrait le 14 octobre 2016, à l’occasion de la publication d’un texte général des évêques sur la vie politique.
Autrement dit, ne pas prendre position en faveur de tel ou tel candidat après le premier tour permettrait, selon les évêques, d’éviter bizarrement que «notre démocratie ne se transforme en société de violence». Ils font la leçon aux journalistes, pour un «rôle ajusté des médias, qui n’amène pas à l’hystérisation». Une hystérisation qui couvait très certainement lorsque la CEF dénonçait en 2002 le candidat «des mensonges, de l’exclusion, du mépris et de la haine».
Ainsi se confirme l’effondrement de la digue catholique anti-FN que des grandes voix - les cardinaux Lustiger et Decourtray en tête - avaient contribué à bâtir, avec ici et là, des évêques qui n’hésitent plus à recevoir en public des élus frontistes (Mgr D. Rey, ou Mgr J.-P. Cattenoz).
Même si quelques jeunes tentent de faire de la résistance (prise de position de la Jeunesse ouvrière chrétienne de France [JOC] le 24 mars), cet effondrement fait s’ouvrir de larges brèches à la droitisation catholique, avec les appels au ni - lancé par Sens commun - organe politique de La Manif pour tous - et Jean-Frédéric Poisson (Parti chrétien démocrate), et même les brèches de l’extrême droitisation, avec Christine Boutin, qui prône «le vote révolution en faveur de Marine Le Pen», et La Manif pour tous qui appelle à «s’opposer à Macron», ce qui revient à voter Le Pen sans le formuler explicitement.
Les évêques ont donc confirmé leur renoncement à combattre le Front national en laissant nombre de leurs ouailles libres de voter et de faire voter Le Pen. Leur choix est d’autant plus remarquable qu’ils sont les seuls responsables confessionnels français à ne pas appeler à voter contre la candidate FN. Lire aussi: Deux courants catholiques se déchirent sur l’identité nationale et l’immigration.
Dès avant le premier tour, le Conseil national de l’Eglise protestante unie de France alertait «contre la catastrophe en train de se nouer avec le discours national et xénophobe de l’extrême droite»; depuis dimanche 23 avril, toutes les confessions sont à l’unisson de cette alerte religieuse anti-FN: le CFCM (Conseil français du culte musulman), qui dénonce «les démarches d’exclusion» et appelle à un vote Macron «large», la Grande Mosquée de Paris et la Fédération nationale musulmane, qui appellent à voter «massivement» Macron, le grand rabbin de France, qui appelle «tous ceux qui croient et espèrent en la France à voter Macron, qui porte l’espérance de fraternité», le CRIF, l’UEJE et toutes les organisations juives de France, qui appellent à «faire barrage au FN».
Les évêques sont seuls à faire honte aux fondamentaux de l’Evangile, l’accueil de l’étranger et la fraternité. Dans une société plurireligieuse où le catholicisme reste de loin la première tradition, si Marine Le Pen accède à l’Elysée, elle pourra leur dire un grand merci. Cathos gratias!