Au deuxième jour de la grève générale qui paralyse la Guyane française, les manifestants ont rallié mardi 28 mars les villes de Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni. L'évêque de Cayenne, quotidiennement sur les barrages, témoigne sur twitter.
Le mouvement social a été voté à l’unanimité par les 37 syndicats réunis au sein de l’Union des travailleurs guyanais (UTG). A l'appel du collectif "Pou la Gwiyann dékolé" ("Pour que la Guyane décolle"), les protestataires veulent que ce jour soit une "journée morte" pour les 250.000 habitants de ce département et région d'outre-mer (DROM ou anciennement DOM) frontalier du Brésil et du Suriname.
Les revendications des Guyanais sont diverses: insécurité croissante, taux de chômage qui atteint 22% (40% des moins de 24 ans sont sans travail), économie déséquilibrée mais aussi manque d’accès aux soins et à l’éducation. Cette situation est aggravée par une forte démographie et une immigration soutenue.
Face à cette importante agitation sociale, et après le blocage, la semaine dernière, du centre spatial de Kourou, entraînant le report du lancement d'une fusée Ariane 5, Ericka Bareigts, la ministre des Outre-mer, a lancé un appel au calme et au dialogue. Le Premier ministre Bernard Cazeneuve a annoncé l’envoi sur place d’une délégation de ministres "avant la fin de semaine". De l'avis de l'évêque de Cayenne, le blocage d'Ariane a certainement fait bouger Paris.
"La colère de la population déborde"
La Guyane est de nouveau bloquée de toutes parts. La colère de la population déborde: santé délabrée, insécurité chronique, éducation minée...
— Emmanuel Lafont (@Lafont_Emmanuel) 23 mars 2017
Dans ses tweets, Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, estime "qu'il est essentiel que la ministre de l'Outre Mer fasse tout pour venir ici". Il écrit: "La Guyane est de nouveau bloquée de toutes parts. La colère de la population déborde: santé délabrée, insécurité chronique, éducation minée..."
Sur les ondes de Radio Vatican, le prélat confie avoir senti venir ce mouvement de colère depuis des mois: "Il y a cinq semaines, j'avais écrit une lettre de trois pages à tous les élus de Guyane pour les avertir que la situation ne pouvait plus durer, que le peuple ne le supportait plus..." Dans de nombreux domaines – sécurité, santé, éducation – la situation s'est fortement dégradée "d'une part, en raison du manque d'engagement à la fois de l'Etat et des élus, et en même temps un surcroît de population".
Pression démographique
"Depuis que je suis là, en 2004, la population a augmenté de 50%, ce qui est quand même énorme en douze ans. Cela fait que la population n'en pouvait plus. Le dernier meurtre d'un homme pour une question de cambriolage, il y a cinq semaines, a déclenché un mouvement de protestation qui est arrivé à explosion la semaine dernière."
Une quarantaine de barrages routiers ont été érigés dans presque toutes les communes: à part les infirmiers et les pompiers, personne ne peut entrer ni sortir de Cayenne.
"Les gens n'ont qu'une envie, c'est d'être écoutés et entendus", note cet évêque combatif, qui a vécu en Afrique du Sud entre 1983 et 1996, durant les dures années de l'apartheid et de la lutte de libération au cœur du township de Soweto.
"Une société qui accepte que la moitié des jeunes entre 18 et 25 ans n'ait pas de travail, c'est une société qui manque à sa responsabilité première (...) Ces jeunes se sentent sans utilité, on n'a pas besoin de vous, c'est tragique!", assène celui qui fut aumônier diocésain et régional de la Jeunesse ouvrière chrétienne (1977 - 1983) avant de partir comme prêtre Fidei donum en Afrique du Sud dans le diocèse de Johannesburg. Il y fut notamment aumônier régional de la JOC et curé de la paroisse Saint-Philippe Néri à Soweto.
Carrefour du trafic de drogue
L'évêque de Cayenne relève encore que la Guyane se trouve à un important carrefour du trafic de drogue, ce qui amène de l'argent facile mais dangereux. "Vous avez une moyenne de soixante personnes, dont des jeunes de 16 ans, qui prennent l'avion après avoir ingurgité des sachets de cocaïne ou autre, pour trouver 4, 5 ou 6.000 euros en transportant des choses qui en valent quinze ou vingt fois plus... Entre le manque de travail et l'argent facile, vous comprendrez que le choix est trop vite fait!"
Mgr Emmanuel Lafont souligne que la grande majorité de la population est derrière le mouvement. Il a pu le constater de visu en se rendant chaque jour sur les barrages: "C'est un mouvement populaire d'une très grande ampleur!" Et l'évêque de Cayenne, qui accompagne le mouvement, souligne que l'Eglise sait aussi que ce combat a une composante spirituelle, car pour lui, "c'est un temps de conversion pour tous".
(cath.ch/radvat/be)