
Mgr Utembi, Président de la CENCO (à g.) et l’abbé Donatien Nsole, secrétaire général a.i.: « Restons vigilants »
Même si le leader de l’opposition congolaise est décédé, les évêques de la République démocratique du Congo restent optimistes quant à l’aboutissement final de l’accord de la Saint-Sylvestre. Mais ils appellent à la vigilance…
De passage à Bruxelles, Mgr Marcel Utembi, archevêque de Kisangani et président de la Conférence épiscopale nationale congolaise (CENCO) a tenu à faire le point sur la situation politique dans le pays, aujourd’hui incertaine à la suite du décès d’Etienne Tshisekedi, leader de l’opposition congolaise. Il était accompagné de l’abbé Donatien Nsole, secrétaire général ad interim et du Père Clément Makiobo, président de la Commission Épiscopale Nationale Justice et Paix du Congo. Ils ont rappelé que l’accord du 31 décembre 2016, qui n’est toujours pas signé, bien qu’accepté formellement par la majorité présidentielle et l’ensemble de l’opposition, définit les grandes lignes de ce que sera la transition d’ici l’organisation des élections présidentielles, législatives et provinciales. Aux côtés de cet accord global et inclusif, ont été émis des arrangements particuliers comme le format du futur gouvernement d’union nationale et sa répartition des postes, la mise en place du Conseil national de Surveillance chargé de suivre la mise en place de l’accord, l’élaboration du calendrier électoral de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la réorganisation de cette institution, ou encore la désignation du Premier ministre issu des rangs de l’opposition.
C’est précisément ce dernier point qui constitue la dernière pierre d’achoppement, a expliqué Mgr Utembi. L’opposition a présenté un nom: celui du fils d’Etienne Tshisekedi. La majorité présidentielle a demandé, elle, qu’on présente au président Joseph Kabila, une liste de sept noms, ramenées ensuite à cinq noms et dernièrement à trois noms de « premier ministrable ». Mgr Utembi a rappelé que si le nom est proposé par l’opposition aux termes du compromis politique conclu, c’est au président Kabila qu’il appartient de nommer le Premier ministre. Dans ces conditions, compte tenu de son pouvoir discrétionnaire, on peut comprendre que le président souhaite avoir un choix.
Partant en séminaire en Suisse, les évêques ont demandé aux deux camps de poursuivre leur discussion afin de se mettre d’accord. Entre-temps, le décès subi d’Etienne Tshisekedi a modifié la situation et les pourparlers se sont arrêtés. Mais, les représentants de la CENCO pense, qu’un fois les funérailles terminées, ils reprendront.
Qui pour remplacer Etienne Tshisekedi?
A cette question, Mgr Utembi répond très clairement: « L’accord de la Saint-Sylvestre prévoit explicitement que la présidence du Conseil de surveillance revient au président du Comité des Sages du Rassemblement. Il revient donc à ce dernier de nommer un successeur à M. Tshisekedi, qui prendra donc la tête de ce comité de suivi des accords ».
Le Père Clément Makiobo a pour sa part dressé un tableau des travaux d’enrôlement des électeurs par la CENI, qui prend du temps. « Nous travaillons en étroite collaboration avec la CENI qui tient compte de nos avis quant nous lui signalons que des disfonctionnements ont lieu. »
Tout cela fait dire aux trois représentants de l’Eglise congolaise qu’il faut être réaliste et qu’il paraît plus qu’improbable, si pas certain, que l’élection présidentielle puisse se tenir en 2017.
Doit-on alors craindre un soulèvement populaire? « Le peuple congolais restera calme à la condition qu’on soit transparent et qu’on explique les raisons de ce nouveau report. Il faudrait aussi avoir une liste des candidats à la présidence de la république et si les Congolais constatent que Joseph Kabila n’en fait pas partie, tout soulèvement paraît improbable », ont déclaré le président la CENCO et son secrétaire général a.i. De son côté, le président de la Commission Justice & paix a souligné que l’on « assiste EN RDC à l’émergence d’une nouvelle classe politique et de citoyens responsables ».
Mgr Utembi a répondu aussi aux journalistes présents que gestes de « décrispations » avaient eu lieu, avec la libération d’opposants ou de membres de la société civile, comme la Lucha qui représente les jeunes. Concernant l’opposant et ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, en exil, Mgr Marcel Utembi a précisé que la CENCO a diligenté une commission d’enquête, composée notamment d’évêques et de magistrats, qui se sont rendus dans l’ex-Katanga pour obtenir le dossier d’accusation. Les membres de cette Commission sont actuellement en Belgique pour entendre différentes personnes, dont le principal intéressé, Moïse Katumbi. Ils rendront ensuite leur rapport final au président de la CENCO.
Ne pas dissocier élections et bonne gouvernance
A la question de savoir pourquoi, en pleine négociation, le président Kabila a nommé un nouveau gouvernement conformément aux accords du 18 octobre – auxquels n’ont pas participé et donc pas souscrit les forces du Rassemblement – Mgr Utembi a précisé que cet accord prévoyait la nomination d’un nouveau Premier ministre dans les quinze jours suivant la signature. « La CENCO n’est entrée en jeu que le 30 octobre à la demande du chef de l’Etat. Au moment du changement intervenu en plaine négociation, le président nous a donc prévenus qu’il désignerait ce nouveau chef du gouvernement en nous disant qu’il n’avait pas le choix et qu’il entendait respecter sa signature. Mais il a précisé qu’il s’engageait à nommer un autre premier ministre si les pourparlers sous l’égide des évêques congolais aboutissaient. »
Enfin, les représentants de l’Eglise de RDC ont souligné le fait que les sanctions de divers pays, dont la Belgique, et de l’Union européenne ont porté leurs fruits. Ils ont appelé à ce que les partenaires et amis du Congo restent vigilants quant au respect des accords conclus, indiquant au passage que l’aide financière de ses partenaires est indispensable pour organiser les différents scrutins, la RDC ne pouvant les financer seule. Mgr Utembi a encore ajouté que la CENCO restera elle aussi attentive dans le futur, car dit-il, « on ne peut pas dissocier les élections et la bonne gouvernance ».
La délégation de l’Eglise congolaise rentre ce jeudi à Kinshasa et ne sera donc pas présente aux funérailles d’Etienne Tshisekedi, ce jeudi 9 février à 11h, en la Basilique Notre-Dame du Sacré-Cœur à Koekelberg. En revanche, cinq évêques congolais concélèbreront la messe de funérailles, dont l’archevêque de Kananga.
Jean-Jacques Durré