Le décès du leader de l’opposition, Etienne Tshisekedi va-t-il remettre en question le fragile accord de la Saint-Sylvestre en République démocratique du Congo? Pas sûr, même si sa disparition fragilise l’opposition.
L’accord de partage du pouvoir en RDC, dans l’attente des futures élections – qui, initialement auraient dû avoir lieu en novembre de l’année dernière – est-il menacé? Obtenu après des semaines de négociations, grâce au travail et à la patience de l’Eglise et des évêques congolais, cet accord censé gérer la transition de douze mois jusqu’aux élections prévues en décembre 2017, n’est toujours pas signé, même s’il a obtenu un aval informel tant de la majorité présidentielle que des forces d’opposition.
Lundi, les membres de la Conférence épiscopale nationale congolaise (CENCO) ont quitté la table des négociations pour un voyage à l’étranger, en ayant l’espoir que les forces politiques en présence finissent par s’accorder, notamment sur le choix du Premier ministre issu de l’opposition. L’accord du 31 décembre prévoit aussi la mise en place d’un conseil national de transition, placé sous la direction du Rassemblement, la plate-forme d’opposition créée autour du fondateur et leader de l’Union pour la Démocratie et le Progrès social (UDPS) Etienne Tshisekedi.
Mais, son décès hier soir à Bruxelles, pourrait changer les choses. Le vieux leader était rentré la semaine dernière en Belgique pour se faire soigner, quittant les négociations en cours. Selon son fils Félix, qui était proposé par le Rassemblement comme candidat au poste de Premier ministre du gouvernement d’union nationale, l’opposant s’est éteint, victime d’une embolie pulmonaire.
Compagnon de route de Mobutu
Né le 14 décembre 1932 à Kananga, ville située à 800 km au sud-est de la capitale Kinshasa, Etienne Tshisekedi a été le premier congolais à être diplômé docteur en droit de l’Université de Lovanium de Kinshasa. Si Etienne Tshisekedi était l’un des plus farouches opposants congolais, il fut d’abord compagnon de route du Maréchal Mobutu Sese Seko et signataire du « Manifeste de la N’sele », instituant le MPR (Mouvement populaire pour la révolution) en parti-Etat. Nommé ministre de la Justice de sa province du Kasaï oriental en 1961, il deviendra ministre de l’Intérieur en 1965 et des Affaires coutumières après le coup d’état de Mobutu. Durant cette période, Etienne Tshisekedi a été notamment premier secrétaire national du MPR de 1968 à 1972, président de la commission de politique générale du bureau politique de cet ancien parti unique et ambassadeur du Zaïre au Maroc. Il fut aussi président de la compagnie aérienne nationale, Air Zaïre. Etienne Tshisekedi a également été par trois fois député à l’Assemblée nationale zaïroise et a assumé les fonctions de vice-président de cette assemblée.
Mais en 1980, les relations entre les deux hommes se dégradent. Tshisekedi crée alors l’UDPS et prône le multipartisme. Mobutu l’enverra en prison, le nommera à nouveau Premier ministre, mais sans renouer avec l’amitié qui les liait. De 1980 jusqu’à son dernier souffle, Etienne Tshisekedi aura fait figure d’opposant à chaque président de la RDC (ex-Zaïre). Après s’être opposé à Mobutu, il devient l’opposant le plus virulent de Laurent Désiré Kabila, qui avait renversé Mobutu en 1997, puis de son fils Joseph Kabila arrivé au pouvoir en 2001.
Au cours de ces derniers mois, il s’est à nouveau profilé comme l’incontournable chef de file de l’opposition à l’occasion de la crise relative au refus de Joseph Kabila de quitter son poste de président. S’il refuse de participer en septembre au « dialogue national » proposé par Kabila, il finit par donner son aval à la participation de l’UDPS aux négociations sous l’égide de l’Eglise, lesquelles ont abouti à l’accord du 31 décembre, qui consacre le maintien au pouvoir du chef de l’Etat au-delà du terme de son mandat. Il devait prendre la direction du Conseil national transition qui est appelé à voir le jour sur base des accords de la Saint-Sylvestre dont la mise en place bute sur des questions de partage du pouvoir.
Que va-t-il se passer?
En toute logique, de nombreux observateurs estiment que, même si le décès du leader de l’opposition laisse un grand vide, cela n’entraîne pas de facto la fin de l’accord de la Saint-Sylvestre. En revanche, sa mort affaiblit son parti, déserté déjà par d’anciens députés, réunis autour de Samy Badibanga, actuel premier ministre congolais. Une chose est sûre: sa disparition constitue un « défi » pour l’opposition, en pleines négociations des modalités d’application de l’accord du 31 décembre. La majorité présidentielle, elle, se trouve renforcée par le décès de la figure légendaire de l’opposition. Louis Michel, député européen et ancien ministre des Affaires étrangères, a eu des mots profonds après le décès d’Etienne Tshisekedi, mais a jugé que le processus de paix n’était pas pour autant en danger. « Du moins je l’espère », a-t-il nuancé. Le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, reconnaît en Etienne Tshisekedi « une figure politique marquante de la République Démocratique du Congo » durant plusieurs décennies. Plusieurs dirigeants étrangers ont aussi salué la mémoire de l’opposant congolais. De son côté,la CENCO N’a pas encore réagi.
Même s’il n’a jamais réussi à conquérir le pouvoir – son vieux rêve – et à diriger le plus grand pays d’Afrique, l’opposant Etienne Tshisekedi appartient désormais à l’Histoire.
J.J.D.
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