Mgr Pascal Gollnisch “Se débarrasser du terrorisme n’amène pas la paix !”


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Mgr Pascal Gollnisch  “Se débarrasser du terrorisme n’amène pas la paix !”
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
5 min

Directeur de l’œuvre d’Orient en France, Mgr Pascal Gollnisch est bien placé pour parler des relations islamo-chrétiennes. A ses yeux, la situation actuelle, en Syrie et dans la région, est la conséquence d’une erreur d’évaluation et d’appréciation des chancelleries occidentales.

Que pensez-vous de l’accord de cessez-le-feu signé en Syrie dans la foulée de la chute d’Alep. Est-il durable à votre avis?

La situation en Syrie est très complexe. Ce pays vit une guerre civile, il faut donc être prudent dans l’analyse de la situation. Pour bien comprendre, il faut savoir que la Syrie, c’est, pour l’essentiel, des villes comme Damas, Homs, Hama, Alep et Lattaquié, ainsi que la côte méditerranéenne, territoire originel des Alaouites actuellement au pouvoir. Pour le reste, ce sont quelques plus petites cités, mais surtout beaucoup de déserts. Donc, d’une certaine manière, celui qui tient les villes que j’ai citées, tient la Syrie. Le fait d’avoir repris l’ensemble d’Alep est important pour le régime du président Assad. Car, contrôler cette grande ville, c’est maîtriser l’épine dorsale, économique et stratégique de la Syrie. La reconquête d’Alep est donc considérable sur le plan national et régional. Un moment, les chancelleries occidentales pensaient pouvoir unifier les rebelles pour amener à ce que les choses puissent bouger en Syrie. L’échec des Occidentaux est là. On se trouve aujourd’hui face à une nébuleuse composée de rebelles de l’intérieur, avec beaucoup de Syriens, mais aussi beaucoup d’étrangers venus d’Afghanistan, de Tunisie, d’Algérie, du Maroc et d’Europe. Ce n’est donc plus simplement un conflit syrien. Je crois qu’à cet égard, les chancelleries occidentales ont fait une grave erreur d’appréciation et comme les Russes ont été les les seuls à avoir mis des hommes au sol – en plus des Kurdes – Moscou est évidemment en position de force pour négocier une paix. Maintenant, les Russes avancent seuls avec les Turcs et les Iraniens, c’est très inquiétant. Je rappelle encore que les Turcs représentent la force qui a occupé pendant plus de quatre siècles la région.
Pour le monde arabe, c’est un peu comme si la France voulait envoyer des troupes en Algérie. Vous voyez tout de suite ce que cela produirait.

Cet interventionnisme de la Turquie qui prétend se battre contre les djihadistes mais qui a laissé passer à sa frontière tous ces djihadistes, m’inquiète. Les accords de cessez-le-feu ont fini par être ratifiés par le Conseil de Sécurité mais avec beaucoup de réserves.

Le pays peut-il retrouver la paix, après ces cinq années de guerre?

Je ne suis pas certain qu’on arrive à instaurer une paix durable uniquement par l’influence de la Russie, de l’Iran et de la Turquie. Je le répète: c’est inquiétant que ces trois pays se soient permis d’entrer en Syrie et s’octroient le droit de décréter son avenir. Il est urgent que le Conseil de Sécurité reprenne la main et qu’on redonne sa parole au peuple syrien pour qu’il puisse s’exprimer. Mais il faut procéder par étapes. Le cessez-le-feu doit d’abord permettre de venir en aide aux populations épuisées par toutes ces années de guerre et de destructions. Le peuple syrien est exténué et profondément meurtri par les centaines de milliers de victimes qu’a fait le conflit. Il faut que le cessez-le-feu s’installe donc durablement. Et pour que la population puisse reprendre la parole, peut-être faut-il régionaliser à titre provisoire et transitoire, les différents lieux de Syrie.

Qu’en sera-t-il de Daech après les victoires de Bachar al-Assad? N’y a-t-il pas un risque de déplacer les tensions vers la Libye, l’Arabie Saoudite, l’Europe?

Si nous empêchons l’Etat Islamique de disposer d’un territoire, nous les affaiblissons considérablement. Mais, ce n’est pas parce que nous aurons vaincu Daesh à Raqqa ou à Mossoul que le problème sera réglé. Le problème a des causes profondes. Ce n’est pas une victoire militaire qui va suffire à le régler. Mais si Daech n’a plus de territoire, cela devient quand même beaucoup plus difficile pour lui d’agir. Il est obligé alors de passer dans la clandestinité, ce qui l’empêche d’avoir des camps de formation pour djihadistes et d’y accueillir ceux qui veulent le rejoindre. Il ne pourra plus disposer aussi facilement de fortunes colossales. Je pense que les populations qui les ont vraiment subis, seront soulagées et feront état des exactions, y compris les populations musulmanes sunnites qui sont les seules à avoir pu rester dans les zones contrôlées par Daech. Si la population sunnite de Mossoul libérée de Daech, ne retombe pas sous la coupe d’une violence des milices iraniennes, il y a une véritable chance que le monde musulman évolue. Voyez l’Egypte: les gens sont descendus dans la rue pour demander le départ des Frères Musulmans. Cela signifie qu’une partie importante des musulmans souhaite que leur pays avance. Tout ce fondamentalisme islamisant est archaïque. Parmi les musulmans, il y a aussi des pères et des mères de famille. Quand Daech utilise des enfants de huit ans comme kamikazes, ces musulmans en ont assez.

La Turquie a laissé tomber la rébellion sunnite pour se rapprocher de l’Iran et de la Russie. Que pensez-vous de cette alliance? Erdogan est-il encore crédible aux yeux des sunnites turcs?

Je ne crois pas du tout à l’unité entre la Turquie et l’Iran. Je pense que la Russie a exercé son influence pour amener ces deux puissances autour de la table, alors que c’était tout à fait exclu du côté occidental. Concernant le rapprochement russo-turc, malgré l’avion russe abattu par la Turquie, l’entente entre ces deux pays s’est faite pour des tas de raisons mais aussi par la personnalité des présidents respectifs. Ce sont des alliances de circonstances.

Et dans ce Moyen-Orient en plein bouleversement, que peuvent espérer les chrétiens?

Ces pays veulent évoluer vers une certaine forme de laïcité: ils n’ont pas envie que leurs gouvernants soient inféodés au religieux. De nombreux musulmans souhaitent que leur pays devienne plus démocratique, plus respectueux du droit des minorités, etc. Les choses ne sont pas complètement bloquées. L’extrême violence du djihadisme a montré l’impasse de ce chemin. Partout, il y a des mouvements de libération et d’émancipation. Les esprits éclairés savent qu’ils ont besoin des chrétiens parce que ce sont des gens formés, pacifiques dans l’ensemble, qui connaissent la culture internationale. Des gens qui peuvent être des acteurs avec certains musulmans pour faire changer les choses. Si nous, Européens et Occidentaux, sommes assez malins, nous pouvons accompagner, en être les acteurs et les bénéficiaires. Voilà pourquoi il y a un avenir possible pour les chrétiens dans leur propre pays s’ils le souhaitent. C’est leur choix, leur décision.

Propos recueillis par Jean-Jacques Durré

Catégorie : International

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