RDC: Appel du pape pour privilégier le dialogue


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RDC: Appel du pape pour privilégier le dialogue
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
7 min

Les évêques congolais, des médiateurs précieux

Dans l’attente de la reprise du dialogue entre majorité et opposition ce mercredi à Kinshasa, le pape François et l’Eglise catholique appellent la population à privilégier la paix, au moment où la République Démocratique du Congo (RDC) traverse une crise liée à la fin du dernier mandat constitutionnel du président Joseph Kabila.

La RDC mobilise l'attention des milieux diplomatiques belge et étrangers, mais aussi de l'Eglise catholique, jusqu'au plus haut sommet. Dimanche 18 décembre, lors de l'angélus, le pape François a en effet demandé à tous les fidèles de prier pour que le dialogue politique en République démocratique du Congo se déroule "avec sérénité pour éviter tout type de violence" et "pour le bien de tout le pays".

Discussions suspendues

Une déclaration qui intervient alors que ce dialogue entre les partisans du président Kabila et les représentants de l'opposition, qui se tient sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), a été suspendu jusqu'à mercredi. L'abbé Donatien Nshole (photo en Une), secrétaire général ad intérim de la Conférence épiscopale nationale du Congo, a lui aussi lancé un appel à la paix. "Nous n’avons qu’un seul pays et nous ne devons pas nous employer à le détruire", a-t-il affirmé, appelant également les Congolais à ne pas se laisser manipuler. "A la population, aux jeunes particulièrement, je demande de ne pas se laisser manipuler par ceux des politiciens qui ne militent que pour leur intérêt personnel"!

Pour rappel, la CENCO tient, depuis le 8 décembre, au centre interdiocésain de Kinshasa, ces assises inter-congolaises regroupant les hommes politiques du pouvoir et de l’opposition. Des travaux qui permettent aux différentes parties de se parler directement, en vue de sortir le pays de l’impasse politique et d’y éviter des troubles liés à l'éventuelle prolongation du mandat du président Kabila .

Selon les évêques, des divergences persistent entre les signataires – la majorité présidentielle et une minorité de l'opposition - et non signataires – principalement le Rassemblement sous la houlette d’Etienne Tshisekedi - de l’accord du 18 octobre dernier. Dans une déclaration politique commune publiée à l’issue de la plénière de samedi, cette formation a constaté "qu’il subsiste des divergences profondes concernant la fin du mandat du président de la République, le fonctionnement des institutions après le 19 décembre 2016, l’engagement des parties prenantes à ne pas réviser la Constitution ou de la changer et l’engagement du président Kabila à ne pas briguer un troisième mandat".

Pour la CENCO, la RDC a besoin de la paix. Le dialogue national inclusif, s'il réussit, devrait aboutir à un accord consensuel sur la gestion de la transition d’après le 19 décembre et l’organisation d’élections crédibles et apaisées.

Dans l'attente de la reprise des discussions et compte tenu de la date butoir que constitue la journée du 19 décembre, l’abbé Donatien Nshole appelle le peuple congolais à garder bon espoir: "La crise est là, elle est objective. Mais, du moment que les pères évêques se sont impliqués à rassembler les politiciens pour trouver une solution; même s’il y a un retard par rapport aux prévisions, je crois qu’il y a lieu d’espérer. Les évêques reviennent de Rome mardi; mercredi les travaux reprendront."

La Vatican, artisan de paix

Le pape ne ménage aucun effort et s’implique personnellement dans la crise en RDC. Peu de personnes savent qu’il a dépêché à Kinshasa, aux côtés de la CENCO, les spécialistes de la médiation de la communauté Sant’Egidio. Et que le nonce apostolique fait également un travail exceptionnel pour donner encore une chance à la paix. Ainsi, c’est lui qui serait parvenu à convaincre certains des derniers récalcitrants à rejoindre la table des négociations.

Le souverain pontife a donc reçu en audience ce lundi 19 décembre, Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani et Mgr Fridolin Ambongo Besungu, évêque de Bokungu Ikela, respectivement président et vice-président de la CENCO. Si les évêques précisent que ce voyage était prévu de longue date, il est néanmoins certain que les deux prélats ont abordé la situation en RDC et l'état d'avancement des travaux du dialogue mené sous la médiation de l'Eglise congolaise. Le Vatican n’a pour l’instant pas fait de commentaire après cette rencontre. "Cette audience aura sans doute un impact important sur notre cher pays", avait déclaré le président de la CENCO peu avant de s'envoler pour l’Italie. Rappelons aussi qu'en septembre dernier, François avait reçu le président Joseph Kabila au Vatican. Les deux hommes avaient souligné l'importance de la collaboration entre les acteurs politiques et les représentants de la société civile et les communautés religieuses, pour la stabilité et la paix dans le pays.

C'est donc, faute d'accord et en raison de ce voyage des deux évêques congolais à Rome que la conférence épiscopale congolaise a suspendu les négociations qu’elle préside, samedi 17 décembre. Une des pierres d'avhoppement porte sur la date des prochaines élections présidentielles, qui auraient dû avoir lieu fin novembre dernier, ce qui aurait permis au successeur de Joseph Kabila – à qui la Constitution interdit de se présenter pour un troisième mandat à la tête de l'Etat – d'être intronisé ce lundi 19 décembre. Dès avril dernier, la CENI (Commission électorale nationale indépendante), l'organe chargé d'organiser les élections, avait annoncé que celles-ci ne pourraient avoir lieu dans le délai prévu, en raison du retard dans l'enrôlement des électeurs. Par ailleurs, la dimension du territoire congolais (ndlr: 2,34 millions de km2 et 81,3 millions d'habitants) ne facilite pas une mise en place rapide des bureaux de vote, invoquait aussi la CENI, qui avançait une augmentation du coût total à 1,8 milliard de dollars US (contre 1,12 milliard initialement) pour la tenue des élections. Le scrutin nécessite un financement international puisque le produit intérieur brut (PIB) de la RD Congo n'est que de 42 milliards et son budget annuel 2016 de 9,12 milliards de dollars.

Une liste de 252 "détenus politiques" à libérer

Précisons encore que, lors de leur médiation, les évêques congolais ont soumis au gouvernement une liste de 252 personnes qu’ils considèrent comme des "détenus politiques". Ils estiment qu’il faut les libérer afin de contribuer à l’apaisement du climat politique, a rapporté la radio onusienne "Radio Okapi". Vital Kamerhe, président de l'Union pour la Nation Congolaise (UNC), a souligné que parmi les 252 détenus à libérer, il y a sept cas "emblématiques" pour l’Eglise catholique, sans préciser lesquels ni pour quelles raisons. Mais, il s’est déclaré "optimiste" quant à leur libération. Selon lui, les évêques de la CENCO ont rencontré à ce sujet le président Kabila, en lui présentant la liste de ces prisonniers. Ils ont également échangé avec le leader du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Avant l'ouverture de ces pourparlers, cette coalition avait menacé d'inciter la population à manifester dans la rue le 19 décembre, dans tout le pays pour chasser M. Kabila du pouvoir en cas d'échec des négociations. Le Rassemblement n'a cependant donné aucun mot d'ordre en ce sens après la suspension des discussions.

Kinshasa, au ralenti

En attendant, le premier jour de la semaine a fait de la capitale congolaise une ville à l'arrêt, à l'instar d'autres métropoles du pays. Selon des journalistes de l'AFP, la mégapole de dix millions d'habitants était quadrillée par les forces de la police et de la garde républicaine, les grandes avenues étaient vides, avec une circulation presque inexistante. La répression violente des manifestations des 19 et 20 septembre, qui avait fait une cinquantaine de morts, est encore dans tous les esprits.

Dans le nord et l'est de la ville, les militaires et policiers lourdement armés sont plus nombreux dans les rues que les passants, tandis que les transports collectifs publics fonctionnent à un rythme très ralenti. De nombreuses entreprises ont donné pour consigne à leurs employés de ne pas venir travailler, et aucun écolier n'est visible dans les rues, alors que les écoles secondaires ne sont pas encore en vacances de Noël.

"La nuit de dimanche à lundi a été calme, RAS, confirme le porte-parole de la police", a tweeté l'envoyée spéciale permanente à Kinshasa de Radio France Internationale (RFI), Sonia Rolley. Quant à la coupure des réseaux sociaux ordonnée par le gouvernement à partir de dimanche 23h59 (même heure que la Belgique) jusqu'à nouvel ordre, "elle est variable selon les opérateurs" toujours selon Sonia Rolley.

 

Attaque rebelle dans l'est

En attendant, dans l'est du pays, cinq rebelles, un Casque bleu sud-africain et un policier congolais ont été tués lundi matin dans des combats à Butembo, à la suite de l'attaque d'une milice Mai Maï visant la prison de la ville. Le bilan des morts a été confirmé par le porte-parole de la Mission de l'ONU pour la stabilisation de la RDC (Monusco), les autorités locales, et une source policière.

Goma, ville frontalière du Rwanda, fait l’objet d’une surveillance renforcée. Le mouvement citoyen LUCHA (Lutte pour le changement), prônant la non-violence, qui connait un vif succès auprès des jeunes, s’est vu interdire un sit-in pacifique tandis qu'une de leurs activistes à Kinshasa, Gloria Sengha Panda Shala a disparu le 16 décembre. Une éclaircie pour la liberté de la presse: la RTBF vient de pouvoir envoyer une équipe de journalistes en reportage dans la région.

J.J.D. (avec Béatrice Petit, Radio Vatican, Radio Okapi et cath.ch)

Catégorie : International

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