A quelques jours de la date limite prévue pour la tenue des élections présidentielles, la médiation de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) entre le camp présidentiel et l’opposition reste la dernière chance pour éviter un embrasement. Rencontre avec son secrétaire exécutif adjoint, l’abbé Donatien Nshole (photo).
Ce 7 décembre, EurAc, réseau européen (d’ONG) pour l’Afrique centrale, avait organisé à Bruxelles un panel d’experts sur le thème « Impasse politique et crise sécuritaire en RD Congo. Quelles actions pour l’Union Européenne? » Parmi les invités, un intervenant majeur, le représentant de la Conférence épiscopale, vers laquelle tous les regards se tournent.
L’alternance politique, un rendez-vous manqué avec l’Histoire
« Pour mettre fin à une crise de légitimité chronique et donner au Congo toutes les chances de se recontruire, la Constitution résultant des accords de 2002 prévoyait un mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une fois maximum », explique l’abbé Nshole. « En 2011, malgré les résultats jugés non crédibles des élections, Joseph Kabila a entamé un second et normalement dernier mandat, expirant ce 19 décembre. Malheureusement, il y a eu de nombreuses tentatives de repousser les élections. L’électorat n’a pas été convoqué en septembre, comme prévu. Face à ceux qui défendaient l’alternance, le régime a répondu par la répression avec un usage disproportionné de la force, par des arrestations et des intimidations, par la fermeture de médias ou encore l’instrumentalisation de la justice ».
Les frustrations se sont accumulées, et avec elles, le risque de violences. La RDC a loupé un grand rendez-vous avec l’Histoire, estime le secrétaire adjoint. Pour la CENCO, seul un compromis politique global (pas seulement entre politiciens) pourrait apaiser la population.
Une médiation unanimement soutenue
Certains se demandent si le rôle de l’Eglise catholique est reconnu par le camp présidentiel comme par l’opposition, dans toutes ses composantes, dont en particulier, le Rassemblement sous la houlette d’Etienne Tshisekedi, qui a refusé jusqu’ici ce qu’on a appelé le « dialogue national » après le report sine die des élections.
« Le Président Kabila a donné son feu vert à la mission de bons offices de la Cenco en la recevant en audience le lundi 5 décembre, après notre communiqué constatant l’échec des négociations. En réalité, l’impasse provenait des réticences et des tergiversations de la majorité présidentielle, non de l’opposition », poursuit le prêtre. « Aujourd’hui, nous sommes encouragés par l’ensemble de l’opposition. Ce 6 décembre, Etienne Tshisekedi, âgé de 86 ans, a répondu en personne à notre proposition de consultation des forces politiques et sociales. Une heureuse surprise, et de taille! »
L’abbé Donatien Nshole précice encore: « Le principal opposant, encore en RDC, nous a donc rejoints aux côtés des représentants de la majorité présidentielle. Ce qui laisse place à un espoir réel d’un compromis sérieux. Nous discutons déjà de la liste des participants aux négociations. Ce qui a fait bouger les choses, c’est la crainte d’une situation rapidement incontrôlable. A commencer par les villes à l’appareil répressif le plus important: Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Bukavu… »
Si aucun accord n’est pas trouvé, vu la position géostratégique du Congo, entouré de neuf voisins, la tension pourrait gagner toute la région des Grands Lacs. « Certains redoutent encore que l’insécurité régnant à Beni et dans l’Est, ne serve de prétexte à reporter encore l’échéance électorale: on glisserait dans le glissement », lance le prêtre.
Que pense la CENCO du rôle de la CENI (Commission électorale nationale indépendante)? N’aurait-elle pas pu procéder à un recensement, sous la direction de feu l’abbé Malu Malu?
Ce n’est pas le moment de revenir sur le passé, l’accent doit être mis sur maintenant. La Cenco propose de créer une commission technique autour de la Ceni afin d’établir un calendrier réaliste pour la tenue des élections.
Comment expliquer qu’une partie de l’opposition avait accepté le « dialogue » et non Tshisekedi?
C’était à cause du choix partisan avec un facilitateur acquis à la majorité présidentielle. Et aujourd’hui, le nouveau Premier ministre, présenté comme du parti de Tshisekedi, est considéré comme « débauché » puisque l’UDPS ne le reconnaît plus depuis longtemps. (NDLR: Or, sa nomination était censée être un geste vis à vis de l’opposition).
Le Président n’a toujours pas annoncé qu’il ne serait plus candidat. Une annonce qui apaiserait la population. La Cenco ne le demande pas?
La CENCO s’est prononcée dans ce sens. Kabila annonce que la Constitution sera respectée mais qu’entend-il par là, c’est toute la question.
Plus tard, est-il envisageable de voir revenir Joseph Kabila dans un scénario à la russe, comme Premier ministre en tandem avec un Président complaisant?
Kabila est encore jeune. Le voir revenir est dans l’ordre du possible.
La communauté internationale et la Belgique peuvent-elles agir?
Nous demandons aux ONG et aux confessions religieuses d’interpeller. Nous avons aussi besoin du soutien de nos partenaires, surtout l’Union européenne, pour persévérer dans notre mission. N’oubliez pas qu’il y a encore des Belges au Congo, qui exercent une influence directe en politique. Il y a aussi moyen d’intervenir par des sanctions ciblées (mesures financières et interdiction d’accès dans l’espace Schengen) contre les responsables de violences, quels qu’ils soient. Sans oublier de lutter contre la corruption et bien sûr, de soutenir le processus électoral. Enfin, une pression sur les organisations régionales serait bienvenue comme, par ailleurs, un renforcement du mandat onusien des Casques Bleus pour protéger les populations.
Sauver l’alternance, un « rôle prophétique »?
La Cenco bénéficie d’un large soutien en RDC comme de la part de la communauté internationale. La médiation est dans une phase délicate à une dizaine de jours de l’échéance du 19 décembre. Il faut éviter un bain de sang! Je pense qu’il sera difficile de trouver une solution, qui respecte la lettre de la Constitution. L’essentiel est de pouvoir organiser de bonnes élections dans les meilleurs délais, avec la garantie que Kabila ne s’y représentera pas. Il faudra un compromis. Le plus important est de sauver l’alternance.
Nous avons besoin d’être accompagnés dans la prière. Nous avons toujours prôné un règlement pacifique. Nous jouons un rôle de rassembleur pour la paix, c’est un ministère, c’est aussi la mission de l’Eglise.
Texte et photo: Béatrice Petit