Quelques jours avant d’être créé cardinal à Rome, l’archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr Jozef De Kesel était à la tribune des Grandes Conférences Catholiques pour y parler de la place de la religion dans une société moderne et sécularisée.
D’emblée, l’orateur a rappelé que, pendant des siècles, le Christianisme et la tradition biblique ont influencé et formé la culture et la société en Occident. « L’Eglise et la foi y étaient présentes de manière évidente. La question de la place de la religion dans la société ne se posait pas« , a-t-il dit, car « la religion faisait partie comme telle de la culture« . Mais la société a évolué et un changement s’est opéré: celui de la culture elle-même. « La culture occidentale a évolué d’une culture religieuse vers une culture sécularisée. La religion n’y a plus la même signification évidente qu’auparavant. » D’où la question posée par l’archevêque: quelle est la place de la religion dans une telle société, et est-ce que foi et modernité s’excluent-elles mutuellement?
La crise peut être une chance
Cela détermine évidemment la place de l’Eglise, mais comme l’a souligné Mgr De Kesel, la problématique est cependant bien plus complexe que cela. Du fait de la migration, la sécularisation a été confrontée à un autre défi: l’arrivée de religions non-chrétiennes. Un phénomène qu’il ne faut pas sous-estimer et qui rend cette société sécularisée de plus en plus multireligieuse. « Si nous posons la question de la place de la religion dans la société, ce n’est pas uniquement à cause de la sécularisation mais également en raison de la présence de l’Islam qui fait de cette question un sujet de société et même de débat politique. La question de la signification et de la place de la religion dans la société moderne concerne donc aussi celle de la présence croissante de l’Islam. Inévitablement, la question est ainsi posée non seulement de l’avenir de l’Islam mais aussi de l’avenir du Christianisme en Occident« .
Pour Mgr De Kesel, l’Eglise a connu tout au long de son histoire d’autres périodes de grands défis et de crises. Mais il juge que le défi ici est unique: « La confrontation non pas avec une autre tradition religieuse, mais avec une culture qui dit que la religion peut bien avoir un sens pour la vie privée des citoyens mais pas pour la vie en société ni pour les débats de société. » Selon lui, cela constitue un énorme défi pour l’Eglise, car c’est le sens même de sa mission qui est mis en cause. « Ceci n’indique pas nécessairement quelque chose de négatif. Crise ne signifie pas nécessairement que l’Eglise va mal. Ou, comme certains le prétendent, que le christianisme serait chez nous sur son retour. Trop de signes de renouveau et de vitalité en témoignent. » Et de rappeler que la crise peut être une chance.
Le Primat de Belgique n’a pas hésité à dire que, pour certains, c’est le Concile Vatican II qui aurait conduit l’Eglise à l’incertitude et à la crise. Mais il rectifie aussitôt: « Ce n’est pas le Concile qui a changé la situation mais le Concile a été convoqué parce que la situation avait fondamentalement changé. »
« La modernité est de plus en plus confrontée à ses propres limites«
Comment réagir face à cette situation? A cette question, le patron de l’Eglise de Belgique répond qu’en premier lieu, il est important que l’Eglise accepte la légitimité d’une société sécularisée. « Ce qui ne signifie nullement qu’on ne puisse pas s’interroger à propos de la modernité. La modernité est de plus en plus confrontée à ses propres limites. L’Eglise ne peut plus s’accrocher à sa position culturelle antérieure. Elle accepte la fin de la chrétienté« , précise en substance Jozef De Kesel, ajoutant que la fin de la chrétienté ne signifie pas la fin du christianisme, mais bien de la fin d’une figure historique de celui-ci. D’où une question centrale pour l’avenir: le Christianisme peut-il encore être vital sans cette position dominante? En clair, pouvons-nous être chrétiens et Eglise dans un monde non-chrétien? Pour Mgr De Kesel, la réponse est évidemment positive: « Rien ni personne ne nous empêche de remplir notre mission en tant qu’Eglise« . Et d’estimer que la culture moderne peut devenir le moment favorable pour redécouvrir le cœur même de notre foi. « La culture moderne offre un cadre qui nous permet de vivre ensemble dans le respect de la liberté de chacun. C’est la grandeur de cette culture. » Pour l’archevêque, la modernité et son caractère séculier n’est pas l’instance qui donne sens à notre vie et à nos engagements. Et il met en garde: la sécularisation ne peut fonctionner comme une religion de substitution. « En ce sens, la modernité a tout intérêt à reconnaître ses propres limites. »
Parlant de la liberté, Jozef De Kesel a jugé que celle-ci ne signifie pas faire ce que chacun veut. « Pas de liberté sans fraternité« , a-t-il lancé devant le millier de participants à la conférence, ajoutant que ce qui menace notre culture moderne, ce sont l’individualisme et l’indifférence. Et de rappeler, à juste titre, que le pape François met en garde contre le danger de la globalisation de cette indifférence.
L’orateur a ensuite abordé d’autres tendances à rejeter comme celle de vouloir privatiser et neutraliser la religion, particulièrement le christianisme. « Ce n’est pas intelligent (…) parce que le Christianisme se trouve aux racines de notre civilisation et continuera à appartenir au patrimoine historique et culturel de l’Occident. On ne méprise pas sa propre tradition. »
Ne pas avoir peur de son identité
Il a conclu en évoquant l’avenir et le fait, entre autres, que l’Eglise devient de plus en plus une Eglise humble: « Savoir qu’on ne représente pas tout et tous. Savoir qu’il y a d’autres choix et d’autres possibilités. En d’autres mots: se situer dans une société moderne et sécularisée. » L’archevêque admet que l’Eglise de demain sera aussi plus petite, sans être pour autant minoritaire. « Il y aura toujours, à côté d’un noyau qui se situe vraiment au cœur de l’Eglise, beaucoup de gens qui, de manières très différentes, participeront à la vie de l’Eglise et qui ne voudront pas rompre tous les liens. Mais c’est une Eglise qui ne représentera plus la majorité de la population. » Il espère aussi que l’Eglise montre clairement ce qu’elle représente et qu’elle n’ait pas peur de sa particularité et de son identité et qui ne cherche pas constamment à s’adapter à ce qui est aujourd’hui socialement évident.
« C’est l’Evangile qu’elle doit annoncer et rien d’autre. La Bonne nouvelle que Dieu nous aime. Qu’Il n’est pas simplement l’Etre Suprême qui se suffit à lui-même. Le Dieu qui n’est pas indifférent mais qui s’engage personnellement. Qui nous a donné ce qui lui est le plus cher: son Fils, le Christ Jésus, Celui qui peut nous sauver« . Il a néanmoins appelé à ce qu’elle ne le fasse pas de façon défensive, ni en imposant. « Ce n’est qu’ainsi qu’elle sera signifiante pour ceux qui sont en recherche dans cette société sécularisée qui laisse tant de gens sur leur faim. »
Mgr De Kesel souhaite une Eglise et des chrétiens qui s’engagent pour une société plus humaine, pour les plus pauvres et les plus démunis, et qui rayonne avant tout la joie et la beauté de la foi.
J.J.D.
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