Le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, refuse d’appliquer une décision de la Cour d’appel de Bruxelles. celle-ci a en effet confirmé le droit, pour une famille syrienne d’Alep, d’obtenir un visa pour la Belgique. En soutien à « son » ministre, la N-VA critique vertement cette décision, appelant les juges à « respecter strictement la loi ». Ces attitudes semblent mettre à mal l’indépendance de la justice dans notre pays et, partant, notre Etat de droit.
Ce mercredi 7 décembre, la Cour d’appel de Bruxelles a condamné l’Etat belge à délivrer des visas ou des laissez-passer à une famille syrienne qui tente de fuir Alep. Cet arrêt confirme une décision du Conseil du contentieux des étrangers, datant du 20 octobre dernier. Cette condamnation, immédiatement exécutoire, est assortie d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par membre de la famille.
La famille syrienne en question est composée d’un couple et de leurs deux enfants de 5 et 8 ans, et souhaite être accueillie en Belgique par un ménage namurois. Comme l’Office des étrangers refusait de lui accorder des visas, leur avocat avait saisi le Conseil du contentieux des étrangers, organe compétent pour traiter les refus émanant de l’Office des étrangers, qui dépend du secrétariat d’Etat à l’Asile et à la Migration.
Le Conseil du contentieux a notamment fondé sa décision sur la Convention européenne des droits de l’homme, et avait pointé le manque de motivation des décisions de refus de l’Etat belge, qui font fi de la situation alarmante à Alep.
Theo Francken, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, estime cependant qu’accorder des visas humanitaires relève de son seul pouvoir discrétionnaire. Selon lui, imposer leur octroi « créerait un précédent dérogeant gravement au caractère exceptionnel » de la délivrance de tels documents, alors que les demandeurs n’ont pas de lien particulièrement étroit avec la Belgique. M. Francken a dès lors contesté la décision du Conseil du contentieux des étrangers devant le Conseil d’Etat. Ce recours est toujours pendant.
Entre-temps, la Cour d’appel de Bruxelles a rendu sa décision sur ce dossier, condamnant l’Etat belge à octroyer un visa à la famille syrienne concernée.
A la suite de cette décision, La N-VA, le parti de M. Francken, a lancé, ce jeudi 8 décembre, une campagne sur les réseaux sociaux appelant « les juges à respecter strictement la loi » et à « ne pas ouvrir nos frontières » après que le secrétaire d’Etat Theo Francken a annoncé à la Chambre qu’il persistait à ne pas octroyer de visa humanitaire à une famille syrienne malgré l’arrêt de la Cour d’appel.
Sur les réseaux sociaux, la campagne « #IkSteunTheo » est portée par des slogans particulièrement explicites: « Pas d’astreintes et pas de juges coupés des réalités. Pas de papiers belges pour chaque demandeur d’asile dans le monde« . Elle a été relayée massivement pas les mandataires N-VA, en commençant par son président Bart De Wever et par Theo Francken lui-même.
Cette action a rapidement suscité une contre-campagne avec le hashtag #IkSteunDeRechtstaat (Je soutiens l’Etat de droit), l’ancien juge de paix Jan Nolf fustigeant la #Theocratie. Ce dernier a également réagi auprès de l’agence Belga en se disant peu étonné par cette évolution de la N-VA qui souhaite en revenir aux « juges de l’ancien régime« . C’est le « bonaBartisme« , le retour à une conception où le juge doit se limiter à exécuter la loi au sens strict, à être « bouche de la loi« , a-t-il observé, une vision qui « met à mal la séparation des pouvoirs« .
Les partis flamands de la majorité condamnent
Les partis néerlandophones de la majorité fédérale ont réagi très négativement aux positions de Theo Francken et de son parti dans cette affaire. Même s’il a admis la faculté et l’obligation de Theo Francken d’user de tous les moyens juridiques possibles, le chef de groupe Open Vld à la Chambre Patrick Dewael a condamné sur Twitter l’appel de la N-VA à considérer les juges comme « coupés des réalités« , une prise de position qui revient à « nier l’Etat de droit » selon lui.
Quant au député CD&V Raf Terwingen, il a parlé de honte pour la N-VA. « Le plus grand parti du pouvoir législatif qui offense ainsi le pouvoir judiciaire!? Scandaleux!« , a-t-il réagi.
Le président des chrétiens-démocrates flamands s’est également exprimé sans ambiguïté sur le sujet: « un arrêt de la Cour d’appel doit être exécuté« , a tranché Wouter Beke. « Tout le monde doit le respecter, en premier lieu, le gouvernement. Les moyens juridiques disponibles doivent pouvoir être utilisés par tous, aussi par le gouvernement. Les pouvoirs qui constituent l’Etat doivent se respecter. Les partis politiques doivent également se retenir de toute pression sur le pouvoir judiciaire. »
Au MR, on ne voyait pas matière à réagir jeudi soir. « On a toujours été en phase avec Francken dans ce dossier« , se contentait d’affirmer le porte-parole du parti jeudi soir. Ce vendredi, le premier ministre Charles Michel a cependant déclaré vouloir défendre la politique migratoire du gouvernement fédéral dans le respect de l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs. Il semblait répondre ainsi au tweet de la cheffe de groupe cdH à la Chambre Catherine Fonck, envoyé hier: « Je pensais que dans un #EtatDeDroit un ministre devait aussi respecter la séparation des pouvoirs et la justice. Alors @CharlesMichel? »
Des questions de fond