Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège, a rencontré les membres de l’asbl Mevlana Camii, de la mosquée turque de Retinne lors de sa visite pastorale dans le doyenné de Fléron le week-end dernier. Accompagné par le doyen, l’abbé Jean Lievens, il a pu partager un moment privilégié avec une communauté soucieuse d’aller à la rencontre de la population.
Au cours de cette rencontre, la construction d’une nouvelle mosquée a été abordée. Une construction qui fait débat en région liégeoise. Il y a 4 ans, l’asbl décide d’acheter un terrain situé dans la commune de Retinne, afin d’y ériger une nouvelle mosquée, moderne, adaptée aux normes de sécurité. Les locaux actuels sont non seulement inadaptés, mais surtout dangereux de par la vétusté du bâtiment.
Après avoir économisé petit à petit, l’asbl soumet son projet de construction à la Région wallonne, seule habilitée à octroyer le permis de bâtir.
Et c’est tout naturellement que, dans un esprit d’ouverture et d’information, elle en avise les autorités communales ainsi que la population.
C’est alors que les choses prennent une tournure que l’asbl était loin d’imaginer. Tout le monde a encore à l’esprit les remous causés par le projet de construction de la nouvelle mosquée. L’affaire avait fait grand bruit et entraîné l’hostilité d’une partie de la population de l’entité de Fléron. Des menaces avaient été proférées à l’encontre des responsables turcs, des pétitions avaient vu le jour, des têtes de cochons avaient même été déposées sur le terrain devant accueillir la future mosquée.
Le trésorier explique: « Alors que nous n’y étions pas obligés, mais dans le but de nous faire connaître et de chasser les préjugés, nous avons averti l’administration communale, laquelle a organisé une réunion d’information à la population. Cette assemblée s’est très mal passée, des agitateurs, plus que probablement extérieurs à la commune ont incité à la haine, asséné un tas d’idées reçues mais totalement fausses à l’encontre des musulmans. De plus, certains habitants étaient venus afin de se plaindre de refus personnels de l’urbanisme à leur encontre alors que nous avions reçu un avis favorable, se trompant complètement de sujet. Une sorte de règlement de compte de problèmes personnels ».
Depuis cette séance, ils ont par deux fois demandé à rencontrer le bourgmestre de Fléron, leurs requêtes sont à chaque fois restées lettre morte.
Dénigrement et fausses informations
La manière dont le dossier a été présenté à la population par une certaine presse a choqué la communauté turque. « Les informations relatées ont soit été tronquées, soit présentées d’une manière subjective et erronée », explique le secrétaire. « La maquette de la mosquée a été représentée inversement à la vision qu’en aura le public, c’est-à-dire avec le minaret en façade, alors qu’il sera à l’arrière, la perspective le rendra à peine visible depuis la rue. Il en va de même pour le nombre de croyants que pourrait accueillir la mosquée: les journaux ont annoncé 2.000 personnes, alors que ces chiffres sont l’estimation maximale que font les services d’incendie en fonction de la superficie du bâtiment », poursuit-il.
« Vous savez, la fréquentation de nos mosquées est souvent comparable à celle de vos églises », dit-il en s’adressant à Mgr Delville, « lors de la prière du vendredi, on dénombre une dizaine de personne le matin, tout au plus une trentaine à midi, et une cinquantaine le soir. De plus, la communauté turque de l’entité ne représente que 180 familles. Ce n’est que deux fois par an, lors des fêtes importantes, ou lors de funérailles, que la fréquentation de la mosquée augmente ».
« Pourquoi les gens ont-ils peur de nous? »
C’est la question que se posent les Turcs de la commune: qu’est-ce qui engendre la peur, la méfiance, le rejet, le refus de mieux connaître l’autre, avec son mode de vie, sa religion, une communauté qui ne demande qu’à s’intégrer? « Nous faisons tout pour montrer notre souhait d’une intégration harmonieuse, la génération actuelle est presqu’entièrement née en Belgique. Il est aussi extrêmement important de savoir que nous sommes reconnus par le Diyanet, organisme d’Etat chargé entre autres de la gestion des lieux de culte. Cela garantit l’absence de prêches extrémistes et subversifs dans les mosquées qui ont reçu son approbation. »
Mgr Delville invite au dialogue et à briser les préjugés, le ver, le mystère
Les suggestions de Mgr Delville furent simples et bien accueillies. Organiser une conférence, en invitant à la table des intervenants des représentants de l’Eglise (il s’est proposé), un rabbin, un pasteur, un imam, ainsi qu’un athée. « Le public pourra ainsi constater que les religions et les options philosophiques s’entendent, parlent entre elles, s’ouvrent au dialogue. Vous pourrez de cette manière démystifier le mystère qui entoure l’Islam, et briser les préjugés! »
L’évêque de Liège leur a suggéré aussi de contacter à nouveau les autorités communales, quant à la dangerosité de fréquenter les locaux de la mosquée existante. « Un bourgmestre sera toujours soucieux de la sécurité de ses habitants, il devrait donc tout mettre en œuvre afin que vous puissiez disposer d’un lieu de culte sûr. »
Mgr Delville a aussi proposé de parler du problème à la commission de relations entre les cultes, afin que d’autres idées puissent jaillir dans un but pacificateur.
Les deux communautés se sont promises de se revoir, de continuer à entretenir le dialogue et les échanges d’idées, de points de vue et de cultures. Et le trésorier de l’asbl Mevlana Camii de conclure: « Nous avons appris à mieux vous connaître, à découvrir qu’il y a des gens dans le monde catholique qui sont ouverts au dialogue, qui sont prêts à venir en aide à une autre religion que la leur, dans le partage et le vivre ensemble. Merci Monsieur l’évêque! »
Texte et photos: Philippe Baldelli