Alors que le président congolais venait de quitter Beni pour y parler de sécurité, « les égorgeurs » ont à nouveau sévi, tuant le 13 août dernier plus de 51 personnes en pleine ville. Excédée, la population Nande a manifesté sa colère. Un deuil national de trois jours a été décrété.
Leur détresse a été entendue jusqu’à Rome où le pape François a évoqué un « silence honteux » autour de ces tueries à répétition. De son côté, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a également condamné les tueries de civils dans cette région de la RDC.
« C’est toujours le même scénario, rapporte un observateur : la plupart des tueurs portent l’uniforme militaire congolais et parlent le kinyarwanda (langue rwandaise). La population prévient l’armée ou/et la Monusco. En vain ! Les crimes se font à l’arme blanche, les victimes sont décapitées ou mutilées à coups de machette, les maisons incendiées. Aucune enquête sérieuse n’est menée. "
Le 13 août à 17h30, des familles entières ont été abattues en ville alors que la Monusco venait de partir en direction opposée. « C’est cela qui me met en colère, commente un prêtre assomptionniste : attaquer une population sans défense, dont la seule ‘faute’ est d’appartenir à une ethnie opposée à la balkanisation de leur pays. Un peuple, qui a toujours pointé la responsabilité de l’armée congolaise -à l’instar d’experts onusiens- et exigé le départ des bataillons dirigés par des officiers rwandophones, à commencer par le Général Mundos, accusé d’implication dans l’assassinat du colonel Mamadou*, et aujourd’hui suspecté de recruter des meurtriers."
Depuis octobre 2014, plus de 1200 personnes, selon les recensements de la société civile, ont été massacrées et près de 2000 autres enlevées dans les territoires de Beni-Lubero. Toutes victimes, selon les autorités congolaises, d’un groupe d’islamistes ougandais (Allied Democratic Forces), pourtant quasiment éradiqué depuis avril 2014.
"Trop, c’est trop !". Au lendemain du dernier carnage, la foule est venue à pied de tout le territoire de Beni-Lubero pour protester, demander une enquête pénale internationale, des mandats d’arrêt pour les officiers impliqués, le départ des militaires étrangers (ougandais et rwandais), la démission du président Kabila, la tenue d’élections dans le délai constitutionnel et la traçabilité des minerais. Un message clair aux autorités, à la veille d’un procès qui s’ouvre à Beni ce 20 août mais que la population qualifie de pur montage. Trois jours avant les massacres, Joseph Kabila était venu à Beni rassurer la population, non sans aller consulter les présidents voisins d’Ouganda et du Rwanda.
Le regard d’un chercheur engagé
Boniface Musavuli, analyste politique et militant des droits de l’homme, redoutait une recrudescence des atrocités au moment de la visite présidentielle. Il l’avait écrit ! Car cela s’était déjà produit. Pour lui, le Président est au cœur de la déstabilisation. Les tueurs, présents en masse à Beni, se trouvent au sein de l’armée congolaise ou arrivent par véhicules entiers du Rwanda, se présentant comme migrants du Masisi ou ex-réfugiés congolais. Ces derniers s’installent dans les zones abandonnées par les autochtones (à cause des massacres), aux côtés des militaires congolais ou d’autres hommes en armes, venus des pays voisins. On aurait aussi retrouvé des uniformes de l’armée ougandaise sur des cadavres de tueurs. Quoi qu’il en soit, pour B. Musavuli, le chaos est l’œuvre du Rwanda et de l’Ouganda, avec la complicité de Joseph Kabila.
Un bain de sang pour empêcher la tenue des élections?
Pour certains, les trois présidents, qui se connaissent bien (Kabila est un ex- soldat FPR de Kagame, et ce dernier a été militaire aux ordres de Museveni), organiseraient ensemble le chaos depuis 20 ans dans l’est du Congo pour pouvoir annexer sans trop de résistance des régions riches en minerais. Et surtout, les violences seraient destinées à détourner l’attention, pour permettre de décréter l’état d’urgence et donc de reporter sine die les élections présidentielles.
Les Casques Bleus ne peuvent se battre contre les soldats du pays qu’ils sont sensés aider. Or, en RDC, ils découvrent une complicité massive des autorités : les uniformes et la majorité des armes des criminels proviennent de l’armée dite régulière. Les enquêtes n’aboutissent pas. Pire, les tueurs sont remis en liberté. Ainsi en-a-t-il été du général Mundos, relâché après un procès bidon, sur base du témoignage mensonger d’un homme masqué, qui n’était autre qu’un officier rwandais ou ougandais, selon un rapport onusien.
La famille assomptionniste plaide pour une enquête neutre et internationale
Face aux dernières atrocités, le gouvernement de Kinshasa invoque le péril djihadiste. Mais les experts onusiens démentent tout lien avec l’Etat islamique ou les Shebabs ou autre groupe islamiste radical.
Certains évoquent des mercenaires étrangers soudanais ou somaliens, recrutés comme kamikazes. Si tel est le cas, la question est de savoir qui les emploie, conclut l’analyste.
Le 21 mars, le Père Vincent Machozi, assomptionniste, mourait en martyr sous les balles d’assaillants en lien avec le Gouverneur du Nord Kivu, selon le site www.benilubero.com , qu’il avait lui-même fondé pour répertorier les crimes, sensibiliser aux « manœuvres d’occupation rwandaise du Kivu-Ituri » et au génocide en cours, à ses yeux. Machozi se savait menacé, ce n’était pas la première fois qu’on tentait de l’assassiner mais il avait choisi de persévérer dans sa mission.
De leur côté, les Conseils généraux de la grande famille de l’Assomption, avaient aussi pris la plume début 2016 pour lancer un SOS et exiger une enquête internationale et indépendante. Leur famille religieuse, la plus importante de la région, compte au total plus de 500 frères et sœurs de l'Assomption. Une famille nombreuse et engagée ! « Bien sûr, explique notre interlocuteur assomptionniste, nous sommes profondément affectés par l’assassinat de notre confrère V. Machozi et la disparition de trois de nos prêtres enlevés à Beni voici bientôt 4 ans, dont nous sommes toujours sans nouvelles officiellement. Notre charisme nous pousse à sortir et aller là où Dieu est menacé dans l’homme et l’homme menacé comme image de Dieu. Le Père Machozi vivait cela. Nous ne sommes pas opposés aux Rwandais, mais bien à tout ce qui divise. Balkaniser le pays, le laisser envahir, pousser les peuples à se haïr est contraire à l’Evangile et à notre charisme. Nous ne pouvons que le dénoncer, même au prix de notre vie! Je suis conscient des risques courus en parlant, je sais que, comme bien d’autres, je figure sur la liste noire du régime mais j’ai été choisi par le Seigneur pour parler. Ma mission aujourd’hui, dans les circonstances actuelles, est d’être la voix de mon peuple qui, lui, ne peut s’exprimer sur place. Ce peuple se sent trahi par ceux qui sont censés les protéger et pour cela demande à la CPI de procéder sans tarder à une enquête internationale!"
« Un silence honteux »
Le pape François vient de dénoncer les « massacres, qui se perpétuent dans un silence honteux, sans même attirer notre attention ». Les évêques congolais ont condamné sans réserve ces actes ignobles, appelant les autorités congolaises à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour y mettre fin, identifier les auteurs, faciliter une enquête indépendante et objective. Enfin, ils sollicitent l’implication ferme de la MONUSCO et de la Communauté internationale dans la recherche d’une solution durable.
Béatrice Petit
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