A l’initiative de trois députés du parlement bruxellois, une journée de commémoration de l’assassinat des moines de Tibhirine s’est tenue samedi 21 mai 2016 dans la commune de Woluwe Saint-Pierre, à Bruxelles.
Au cours de la nuit du 26 au 27 mars 1996, 7 moines cisterciens-trappistes sont enlevés du monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine près d’Alger, capitale de l’Algérie. Vingt ans après, le souvenir de Tibhirine demeure vivace dans les esprits à travers le monde «parce que le monde a besoin de vrais témoignages. Les moines nous ont appris à vivre de manière ouverte aux autres», renseigne Bert Claerhout, journaliste et co-auteur du livre Le rêve de Tibhirine paru en 2009. De nombreuses initiatives prises ça et là visent à honorer la mémoire des moines de Tibhirine. C’est le cas du film Grand prix du jury du Festival de Cannes 2010. En salle depuis septembre 2010 en France, la projection d’un extrait de 20 min de Des hommes et des dieux remue la plaie et émeut l’assistance. A ce film s’ajoute l’édition d’une BD sous le titre Les moines de Tibhirine – Fès – Midelt. Une vie donnée à Dieu et aux hommes. De plus en plus de visiteurs se rendent sur les lieux où ont vécu les moines. Le Groupe El Kalima, par exemple, prépare en ce moment un voyage pour l’Algérie.
Allant dans le même sens et partant du contexte de terrorisme qui menace le vivre ensemble aujourd’hui, Paul Delva, Ward Kennes et André du Bus Warnaffe, trois députés du parlement bruxellois, organisent à leur tour, ce samedi 21 mai 2016, la «Commémoration des moines de Tibhirine». D’entrée de jeu, la foule présente est amenée à s’aviser du fait qu’il demeure, d’une part, «difficile d’implanter une oeuvre chrétienne dans un monde musulman», souligne-t-on, en rapport avec le contexte actuel. D’autre part, la «multiculturalité et la multicultualité» sont mises à l’épreuve depuis les attentats de Bruxelles. On n’est pas loin de la situation qui sévissait en Algérie autour des années 90.
Fidélité
Risquant leurs vies, les moines cisterciens-trappistes décident de rester à Tibhirine pour affirmer «le droit à la différence», rapporte Armand Veilleux, Père-abbé de l’abbaye de Scourmount près de Chimay, l’un des intervenants de la journée. Il le tient du testament de Christian de Chergé, Prieur du monastère Notre-Dame de Tibhirine assassiné avec six autres de ses confrères. Lui, comme ses compagnons savaient tous qu’il pourrait arriver «un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays», écrit Christian de Chergé le 1er janvier 1994, deux ans avant sa mort. Compte tenu du danger, la question est de savoir s’il faut rester sur place ou s’en aller. Au cours de la nuit de Noël 1995, ils décident de «rester par fidélité à leur vocation et par solidarité à leurs frères musulmans», témoigne-t-on. Un «engagement sans compromis», note le pape Jean-Paul II au sujet de ces moines présentés comme «figures du dialogue interreligieux», de par leurs actes d’assistance à leurs voisins, malgré la différence.
On ne sait toujours pas dans quelles circonstances, après leur enlèvement, ont été tués les Frères Christian, Luc, Christophe, Michel, Bruno, Célestin et Paul. «L’enquête reste ouverte. L’enquête judiciaire de Ben Barka [opposant marocain au roi Hassan II assassiné le 29 octobre 1965, ndlr] est encore ouverte depuis 1965», ironise Armand Veilleux de l’abbaye de Scourmount, constitué partie civile avec «une famille quand nous avons constaté que les cercueils présentés comme contenant les corps des moines étaient vides.» Entre temps, le Frère Amédée est décédé à l’âge de 88 ans [le 27 juillet 2008 en Savoie, France, après avoir vécu plusieurs années au monastère de Midelt au Maroc, ndlr]. Jean-Pierre Shumacher reste le seul survivant. M. Thuyebaert, de l’ordre laïc des cisterciens est installé à Tibhirine. Il est intervenu à la journée pour confirmer que Tibhirine subsiste. «Continuer ce témoignage sur Tibhirine est fondamental», galvanise le député Paul Delva, frottant le muscle frontal pour contenir les larmes. «Ce sont les moines de Tibhirine qui nous ont réunis ici», ajoute-t-il au moment d’inviter les participants à partager un verre en souvenir des victimes.
Célestin OBAMA