A partir de notre dossier spécial consacré au baptême, premier des sept sacrements (voir le journal Dimanche n°15), nous vous proposons, une série d’articles sur les sacrements de l’Eglise. Qu’est-ce qu’un sacrement? Pourquoi ces rites sont-ils si importants pour l’Eglise? Quel est leur rôle dans la vie chrétienne?
Pour comprendre ce que représentent les sacrements dans l’Eglise, il est important de saisir le sens d’un autre mot essentiel: la liturgie. Ce terme grec, qui veut dire « œuvre du peuple », renvoie à toute prière chrétienne célébrée en communauté. Que ce soit l’eucharistie, la célébration d’un baptême, ou encore la prière communautaire des moines.
Si la liturgie est ainsi la prière que les chrétiens adressent à Dieu, par son Fils Jésus-Christ et dans l’Esprit saint, elle est aussi, et même avant tout, participation au culte que le Fils de Dieu, mort et ressuscité, rend à son Père – pour reprendre le vocabulaire de l’épître aux Hébreux (chapitres 7 à 10). Le Christ y est, en effet, décrit comme le grand prêtre véritable qui, dans le « régime » de la nouvelle alliance, rend un culte au Père dans le sanctuaire véritable qu’est le Ciel, après sa résurrection. Le Christ est le médiateur de la nouvelle alliance avec Dieu: en donnant sa vie pour nous sur la croix, Jésus nous réconcilie avec le Père, et sa résurrection nous ouvre à la vie nouvelle en Dieu.
Dans la liturgie, nous participons à ce mystère. En nous unissant au sacrifice unique et définitif du Christ, en nous donnant au Père avec lui, nous recevons la Vie nouvelle de Dieu par le même Christ ressuscité, dans l’Esprit. Bref, toute liturgie réalise, d’une certaine manière, notre salut, notre union à Dieu. Elle nous fait participer au mystère de la vie trinitaire, à l’Amour qui est la vie du Dieu-Trinité.
Le sens des sacrements
Au sein de la liturgie chrétienne, les sept sacrements tiennent une place toute spéciale. Un sacrement est un rite, constitué de gestes symboliques et de paroles. Il a ceci de particulier qu’il « réalise ce qu’il signifie », selon la formule consacrée en théologie sacramentelle. Lorsque le geste est posé, lorsque la parole qui l’accompagne est prononcée, ce qui est symbolisé par le geste, ce qui est dit dans les paroles, se réalise effectivement.
Lors d’un baptême, le geste consiste à plonger celui qui le reçoit dans de l’eau, tandis que les paroles suivantes sont prononcées: « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». A ce moment, la personne baptisée est… réellement baptisée. C’est-à-dire, en l’occurrence, réellement plongée dans la mort et la résurrection du Christ, réellement morte au péché, et réellement ressuscitée à une vie nouvelle avec le Christ, par l’action de l’Esprit.
Le rite, une réalité humaine essentielle
Ce qui est ainsi exprimé et symbolisé par le rite est une réalité, un événement spirituel, quelque chose qui se passe au niveau de notre être profond.
Dans la plupart des cultures et des religions traditionnelles, c’est ce qu’il se passe lorsqu’un rite, ou un ensemble de rites, se déroulent: ce qui est symbolisé par un signe concret et évoqué par certaines paroles se réalise effectivement dans l’être des personnes concernées. En ce sens, le rite peut être considéré comme une réalité anthropologique fondamentale – dont la « magie » serait une forme de dévoiement.
L’homme, en effet, pour les anthropologues – cette science humaine qui cherche, notamment, à interpréter les pratiques religieuses présentes dans les cultures dites « traditionnelles » -, ne peut vivre sans rites, qu’ils soient religieux ou sociaux. Le rite, quelle que soit la forme qu’il prend, vise toujours à exprimer, à rendre tangible une réalité d’ordre immatériel, moral, spirituel, pour qu’elle puisse s’inscrire dans notre vie concrète, charnelle, corporelle, sociale. Il en va ainsi dans des rites aussi différents que l’échange des consentements lors d’un mariage ou la prestation de serment d’un chef d’Etat.
Il y a deux choses essentielles dans un rite: le symbole, le geste qui exprime une réalité spirituelle, et la réalité spirituelle exprimée, qui est comme l’âme du rite. Sans intériorité, sans « présence » au geste qui est posé, le rite peut devenir automatique, mécanique, et se vider ainsi de son sens. Il n’exprime alors plus rien et devient mortellement ennuyeux… Ou alors, il peut être sacralisé, et devenir lui-même son propre but, ce qui est tout aussi insensé.
Mais un autre risque consiste à penser que le rite, le geste sont inutiles, que seuls comptent le sens, l’intériorité, et que ceux-ci n’ont pas besoin d’expression. C’est cette tentation qui fut, parfois, celle de certains courants protestants, rejetant tout rite comme superflu, voire idolâtrique. Or, sans incarnation dans la réalité concrète, sans inscription dans le temps et l’espace, toute spiritualité, au sens large du terme, risque de devenir « théorique ». C’est le cas lorsque, au sein d’un couple, l’on considère que certains mots, certains gestes ou certaines attentions sont superflus: « Tu sais bien que je t’aime, je n’ai pas besoin de te le dire ou de te le montrer ». Cette absence de paroles ou de gestes, qui sont comme autant de petits rites du quotidien, risque, au final, d’éteindre l’amour lui-même que ces gestes contribuent à rendre… réels.
Le Christ-Sacrement
Il en va fondamentalement de même pour les sept sacrements de l’Eglise, avec cette spécificité, unique en son genre, qui est propre à la révélation biblique. Dieu se fait connaître personnellement dès l’Ancien Testament, et cette révélation atteint sa plénitude dans l’Incarnation de son Fils unique, en la personne de Jésus-Christ. Pas seulement dans sa personne, mais aussi dans ses paroles, ses actes, qui ont pour finalité de nous guérir du péché, de nous sauver de la mort et de nous introduire dans la vie même de Dieu Trinité.
En ce sens, des théologiens, dont le grand théologien allemand Karl Rahner (1904-1984), parlent du Christ comme étant le « sacrement fondamental ». Le Christ est, en effet, pour la foi chrétienne, Dieu lui-même se manifestant dans notre monde, et « réalisant » pour ainsi dire notre salut par ses paroles, par les gestes qu’il a posés, et au plus haut point par sa mort et sa résurrection.
Après la résurrection du Christ, la mission de l’Eglise est, en quelque sorte, de rendre présent ce salut, de continuer de l’incarner dans le temps et dans l’espace de notre monde, dans les différentes cultures qui traversent l’histoire. Or, cette dimension d’incarnation du salut, de notre nouvelle vie, de notre relation nouvelle avec le Père, par le Fils et dans l’Esprit, se réalise d’une façon particulière dans la célébration des sept sacrements qui, chacun, réalisent un aspect de ce salut dans notre vie.
Le baptême, sacrement-source
Parmi les sacrements, on distingue habituellement les sacrements de la guérison (le sacrement de réconciliation et le sacrement des malades), les sacrements de l’engagement (l’ordre et le mariage), mais les plus fondamentaux sont le baptême, la confirmation et l’eucharistie, qui sont les sacrements de la vie chrétienne comme telle.
A la source de tous les autres sacrements: le baptême. Lorsque nous sommes plongés dans l’eau, symbole biblique de la mort, du chaos, nous participons réellement à la mort du Christ, qui est mort au péché et… mort à la mort. Quand nous ressortons de l’eau, nous ressuscitons, avec le Christ, à la vie nouvelle en Dieu, comme l’écrit saint Paul. Avec le Christ, et dans l’Esprit, nous devenons enfants d’un même Père, et frères et sœurs dans la communauté de l’Eglise.
A côté de l’eau, qui évoque aussi la purification, d’autres signes utilisés dans le sacrement parlent de la vie nouvelle reçue à Pâques. Le saint-chrême, l’huile consacrée que le baptisé reçoit sur le front, est un signe fort du don de l’Esprit saint qui nous est donné au baptême, et qui fait de nous des enfants de Dieu. A l’image du Christ, qui veut dire « celui qui a reçu l’onction » en grec, nous devenons, nous aussi, des « christs », des « messies », appelés à nous sanctifier. Le cierge, allumé au cierge pascal, symbolise la participation du nouveau baptisé à la résurrection du Christ. Quant au vêtement blanc, il rappelle que, par le baptême, nous revêtons l’homme nouveau que nous sommes appelés à être.
Christophe HERINCKX
(Fondation Saint-Paul)