Père et fils marchent pour la paix


Partager
Père et fils marchent pour la paix
Par Angélique Tasiaux
Publié le - Modifié le
7 min


enfantPartir seul avec son fils… Combien de pères n’ont pas rêvé d’embarquer un jour avec l’un de leurs enfants dans un parcours hors du commun? Ce projet, Laurent de Liedekerke l’a concrétisé le 18 avril, en s’envolant avec Damien. Direction Lourdes!

Agé de 6 ans, Damien n’est pas encore en obligation scolaire. Une chance que son père a voulu saisir, en l’emmenant sur ses pas. La formule n’est pas neuve pour Laurent, parti sans un sou cheminer de Clerlande à Lourdes, il y a 15 ans, lorsqu’il était moine. Car il fut une autre vie où Laurent a embrassé la vie monastique, au monastère de Clerlande. De retour dans la vie civile, Laurent s’est engagé en coopération, travaillant cinq ans avec Médecins sans Frontières en Afrique. Il est à présent infirmier à la prison de Forest; une profession qui n’est pas de tout repos. "Les détenus sont là avant d’être condamnés. C’est une des prisons les plus surpeuplées de Bruxelles. Leurs conditions de vie sont très difficiles; on n’en a pas suffisamment conscience. Un tiers des cellules n’ont pas de toilette. Je trouve cela très dégradant. Ils sont généralement à trois pendant 23h sur 24, dans une cellule de 3 m sur 2,80 m. C’est tellement vétuste qu’on y voit régulièrement des souris et des cafards. Cette proximité entraîne des difficultés, puisqu’ils sont là avec des personnes qui peuvent avoir des problèmes psychiatriques ou sont sans respect pour les affaires d’autrui." La prière et la méditation l’aident dans son rôle de soignant. "La vie monastique m’a permis de prendre du recul par rapport au monde, de faire la part entre l’institution, la vie communautaire et le travail." L’essentiel est "d’être le plus humain dans ce milieu ultra-sécuritaire". Après seulement cinq années passées à Forest, Laurent était déjà le plus ancien des infirmiers dans l’équipe, en sous-effectif permanent. "C’est important d’être humain, pour que les détenus puissent réfléchir à leur tour sur ce qu’ils ont commis. C’est aussi important de les écouter, pour qu’un jour il y ait quelque chose qui change. J’ai toujours cet espoir." Pour parvenir à l’infirmerie, Laurent doit franchir 18 portes... Voilà qui motive le croyant à se ressourcer tous les ans dans des zones de liberté différentes: comme un mois en Afrique à réorganiser un hôpital ou améliorer la qualité
des soins.

Des choix concertés

Père de famille comblé, Laurent est l’époux de Sandrine, qui œuvre auprès des plus démunis. L’engagement social habite le quotidien de ce couple, actif à la paroisse ou dans le quartier. Ils ont d’ailleurs préféré s’installer dans un quartier "mixte", pour partager davantage la vie des familles précarisées. Rien de tel que de se croiser à la piscine ou à la bibliothèque, avec les enfants. "Aller à la messe ne suffit pas. Nous voulions que l’éducation des enfants les ouvre à la différence, à des rencontres de personnes différentes, loin des jugements." Tous les mois, la famille s’agrandit pour accueillir Axel, âgé de 9 ans. Maryam – Marie en araméen – et Damien – en hommage au saint belge – attendent avec impatience ces retrouvailles, prolongées pendant les vacances. Etre famille d’accueil s’est rapidement imposé comme une évidence pour le couple, soucieux d’offrir à un autre enfant la joie d’une famille. Les premiers jours, Axel, habitué à la vie en institution, n’en revenait pas qu’il n’y ait pas de tour de garde entre les parents, tout le temps présents. Lui qui s’enfermait dans sa bulle, est sorti de sa chrysalide, pour le plus grand bonheur des accueillants.

Chez l’habitant

Lors de son premier pèlerinage, Laurent est parti sans argent, confiant à la providence les haltes de son itinéraire. Et des anecdotes, le pèlerin en a plein son sac à dos, comme la nuit passée au côté d’un SDF qui lui achètera lui-même un sachet de bonbons, à la saveur bien particulière. L’accueil bienveillant de ses hôtes l’a profondément marqué. Certains d’entre eux n’ont pas manqué d’entretenir une correspondance avec lui durant des années. Ce sont de vraies rencontres "humaines et profondes", se souvient Laurent. Voulant vivre complètement de l’aumône, le marcheur avait décidé, il y a 15 ans, de n’accepter aucun don: ni argent ni pique-nique… Il fallait à chaque fois refaire le pas et aller solliciter les inconnus pour un morceau de pain, un repas, un logement… "Demander l’hospitalité, c’est très difficile. Une heure avant, je sens un combat en moi-même. C’est plus facile de recevoir que de demander." Un rituel régissait le choix des abris d’une nuit. Pour Laurent, il n’était pas question de choisir le plus joli des logements, mais de quémander là où ses pas l’avaient mené, même si une plaque "attention chien méchant" décourageait le marcheur! Pour éviter la culpabilité d’un refus, le pèlerin demandait aux habitants un endroit où être accueilli, plutôt que l’hospitalité sur place. Cette fois, le père de famille avoue emporter avec lui une pharmacie et un peu de liquidités, afin de faire face aux imprévus. Mais il compte bien réitérer sa venue imprévue chez l’habitant, voulant montrer à son fils combien "les gens sont fondamentalement bons". Pour transporter Damien, en cas de fatigue, une carriole est prévue. Elle a d’ailleurs été aménagée par un beau-frère, soucieux du confort des marcheurs. Des entraînements ont été effectués durant les vacances de Pâques, sous les yeux amusés des cousins et cousines.

En mission

Dans la continuité de son premier pèlerinage, Laurent emporte son carnet de pèlerin, qu’il complétera au gré des abris, et surtout une pochette où il glisse les intentions de prière des gens croisés au fil des routes et des chemins. Car, rappelons-le, Laurent entend marcher, une nouvelle fois, pour la paix. En 2001, il s’était lancé dans l’aventure après les attentats du 11 septembre. Même registre dramatique avec les attentats qui ont eu lieu cette année à Bruxelles. Un parcours de 160 kilomètres a été conçu pour marcher avec Damien de Lourdes jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, durant 12 jours. Ensuite, l’enfant rentrera à Bruxelles sous escorte maternelle, tandis que son père poursuivra son chemin en direction de Saint-Jacques-de-Compostelle. Scinder le parcours semble plus raisonnable, compte tenu du jeune âge du pèlerin en herbe. La découverte de la nature est au programme de ces journées dédiées à la paix dans le monde. Oser aborder les inconnus, les saluer, prier dans les églises croisées, fût-ce au prix d’un détour supplémentaire. "Une fois qu’on est pèlerin, on l’est à vie", observe Laurent. Confiant, il se réjouit de la vie, dans toutes ses dimensions. "La prière se passe aussi dans la rencontre de l’autre, dans l’émerveillement des petites choses, des enfants qui grandissent, d’un sourire ou d’un mot inattendu." Le leitmotiv de Laurent, c’est le sens à donner dans sa vie de couple et familiale. "Quelles valeurs veut-on mettre en avant?" Se prémunir contre l’envahissement et la tendance naturelle au métro-boulot-dodo, sont deux autres clefs. Car l’activisme guette les parents engagés, rapidement submergés par les demandes ou les attentes paroissiales, professionnelles et même scolaires!

Elevé dans une famille chrétienne, "qui a toujours lié foi et social", Laurent a été habitué dès son plus jeune âge à côtoyer des personnes handicapées à l’Arche, ses parents étant eux-mêmes engagés auprès de l’association de Jean Vanier. Il reconnaît avoir fait sa confirmation "sans aucun sentiment de foi, juste pour faire plaisir aux parents", allant ensuite à la messe "pour les grandes occasions". Lors d’un pèlerinage à Lourdes, la rencontre de Stéphane, un autiste qui s’automutilait, va s’avérer décisive dans son cheminement spirituel. L’été suivant, l’adolescent choisira de s’occuper de celui-ci pendant ses vacances. Devant la grotte de Lourdes, "j’ai compris le sens profond de cette amitié. C’est le moment où je suis passé de la foi apprise à une foi personnelle." C’est d’ailleurs à lui qu’il annoncera en premier le décès inopiné de son papa, quatre ans plus tard. "Dans son regard, j’ai senti une lumière, une joie, j’ai compris le sens de la résurrection: papa ne serait plus là physiquement, mais il serait toujours là en moi. Pour moi, c’est le plus beau moment de ma vie." Gageons que, durant cette quinzaine, Laurent et Damien vont vivre des moments aussi marquants, au détour des chemins.

Angélique TASIAUX

Footer Dim

Catégorie : Société

Dans la même catégorie