La onzième édition d’un cycle de cours sur l’exorcisme à l’Athénée pontifical Regina apostolorum de Rome s’est tenue du 4 au 9 avril sur le thème »Exorcisme et prière de libération ». Cette initiative, unique au monde, a réuni quelque 200 participants, religieux et laïcs, venus du monde entier pour une mise à jour sur la possession démoniaque et le ministère de l’exorcisme.
Chaque année depuis onze ans, l’association italienne Gris (Groupe de recherche et information socioreligieuses) en collaboration avec l’Institut Sacerdos de l’Athénée pontifical Regina apostolorum et l’Association internationale des exorcistes, propose une semaine d’immersion complète pour une mise à jour théorique et pratique sur la possession démoniaque et le ministère de l’exorcisme. Le projet est né du constat de lacunes réelles dans la formation sacerdotale en la matière, cette dernière étant encore aujourd’hui sujette à bien des fantasmes, parfois ignorée voire taboue, même au sein de l’Eglise. Cette année, les organisateurs ont choisi d’élargir le champ d’étude au judaïsme, à l’islam et aux cultes afro-américains, avec plus d’une trentaine de conférenciers dont des médecins, psychiatres, professeurs ou avocats de nationalités diverses.
La semaine de cours, à laquelle ont également pris part le cardinal Mauro Piacenza et le Grand Rabbin de Rome Riccardo Di Segni, se proposait d’explorer la base théologique de la nature et de l’action des anges et des démons d’un point de vue interdisciplinaire, mettant l’accent sur la prudence pastorale et la nécessité d’un discernement humain et spirituel. La session s’est refermée dans la matinée du samedi 9 avril par une table ronde au cours de laquelle quatre exorcistes – les pères italiens Aldo Buonaiuto et Antonio Mattatelli, le canadien François Dermine, et l’évêque autrichien Larry Hogan – ont partagé leurs expériences personnelles.
Les thuriféraires de Satan en nombre croissant
Nier l’existence du diable, c’est nier l’existence de Dieu, ont assuré d’une même voix les quatre participants à la discussion animée par le père Pedro Barrajòn, directeur de l’Institut Sacerdos. Et les références du pape François lui-même à la figure du démon et à ses méfaits sont légion dans ses homélies. Une préoccupation également soulignée par le père Mattatelli, qui a relaté la volonté expresse du Saint-Père, lors de leur première rencontre survenue peu après son élection au trône de Pierre en 2013, de partager avec lui un temps de prière silencieuse plutôt que de lui accorder la bénédiction. Et pour cause: l’on assisterait, d’après les exorcistes, à une recrudescence vertigineuse du satanisme dans le monde, ce qui aurait pour effet d’accroître le nombre de cas de possession. Cette forme de religiosité revêt différents aspects que le père Buonaiuto rassemble en deux catégories. Celle des jeunes en premier lieu, très présente sur internet, peu structurée mais particulièrement virulente dans ses formes. Les sujets, pour intégrer les sectes, doivent se plier à toute sorte d’épreuves d’entrée, impliquant souvent de porter atteinte à autrui, parfois jusqu’à l’homicide. Le cas emblématique de sœur Laura de Chiavenna, assassinée en l’an 2000 par trois jeunes filles de dix-sept ans en guise de sacrifice à Satan, a été cité à cet égard. Le père Buonaiuto fait en outre état de tendances nécrophiles croissantes chez certains de ces groupes – en Italie notamment – lesquels utilisent des cadavres pour leurs rituels, allant jusqu’à les manger. Vient ensuite la catégorie de groupes appartenant à de hautes sphères de la société, mus par des velléités apocalyptiques. Leurs rituels sont plus élaborés mais guère moins cruels, comme le précise le père François Dermine qui ajoute que ces personnes de pouvoir ne sont que très rarement inquiétées. Ce dernier a enfin mentionné l’existence d’une troisième catégorie à fort pouvoir de nuisance, celle du satanisme rationnel théorisé par Anton LaVey, qui ne voyait pas en Satan une entité spirituelle mais qui croyait en son symbole.
Superstition n’est pas raison
Tout comme saint Thomas d’Aquin avait en son temps mis en garde contre les « signes efficaces » pouvant résulter de la superstition, les intervenants ont appelé à ne pas sombrer dans ce travers en voyant l’entremise du diable partout. Les fidèles risquent dans le même temps de « devenir ridicules », avertit le père Buonaiuto, qui redoute de voir la figure de l’exorciste galvaudée pour n’être plus que celle d’une sorte de « magicien devant extraire le mal de toute personne et objet ». Les intervenants ont affirmé la nécessité de garder à l’esprit que Dieu a toujours le dernier mot et que la certitude d’appartenir au camp du Vainqueur doit nous prémunir de la peur. Une exhortation que le père Dermine a fait sienne pour évoquer l’émergence, en Italie, d’une certaine forme de paranoïa suite à la découverte de séries de chapelets sur lesquels ont été insérés de discrets symboles maçonniques, avant leur distribution dans les paroisses. Les fidèles ne doivent pas, selon lui, hésiter à utiliser ces mêmes chapelets pour leurs prières après les avoir fait bénir. La tentation pour certains fidèles d’attribuer tous leurs maux au diable est dangereuse en ce sens qu’elle déresponsabilise les individus. En effet, comme l’assure le père Mattatelli, tout le mal ne provient pas du démon, mais découle aussi et surtout de la nature corrompue de l’homme. De la même façon, les quatre prêtres ont invité les anciennes victimes de possession à ne pas vivre leur vie spirituelle en fonction de leur libération mais bien toujours en fonction de Dieu. Mgr Hogan a du reste encouragé ces personnes à suivre une « cure pastorale » avec un guide spirituel qui ne soit pas l’exorciste lui-même.
L’art de discerner
Au terme des discussions, les exorcistes sont revenus pour le public sur les marches à suivre pour un juste discernement, primordial à une heure où un nombre accru de personnes croient, à tort, être victimes d’une possession démoniaque. Interrogé sur le sujet en marge de la rencontre, le père Dermine a souligné l’intérêt des méthodes modernes mises en place quant au discernement, impliquant notamment le recours à des comités spéciaux et des psychiatres. « La question est extrêmement complexe, assure-t-il. La possession se manifeste souvent par le fait d’entendre des voix et d’avoir des obsessions soudaines, mais le problème peut être purement schizophrénique et c’est là qu’il faut bien savoir discerner. Si la personne est équilibrée dans sa vie de tous les jours, cela peut être révélateur de possessions diaboliques. Il faut comprendre, les interroger sur les liaisons qu’elles ont entretenues, notamment avec l’occultisme. Il y a également le fait de connaître des choses qu’un être humain normal ignore. Il m’est déjà arrivé de m’entendre dire par la personne sous exorcisme des choses que moi seul pouvais savoir et dont je n’avais encore jamais parlé à personne« .
Solène TADIE