Vincent Machozi, considéré comme «président mondial de la communauté Yira (Nande)», aura été jusqu’au bout malgré les menaces de mort, pour alerter le monde des massacres ciblés de l’ethnie majoritaire à l’extrême nord du Nord Kivu. Il a été abattu ce 21 mars en pleine réunion pour la paix, par dix hommes en uniforme militaire congolais.
Depuis octobre 2014, date du début du procès des assassins du Colonel congolais Mamadou Ndala à Béni, les membres de l’ethnie Nande, sont victimes de tueries, d’une barbarie qui dépasse l’imagination. Des hommes comme des femmes ou des enfants sont dépecés à coups de machette ou de hache, décapités ou encore brûlés vifs.
Voici un an, depuis Rome, les conseils généraux de dix congrégations religieuses avaient lancé un « cri de détresse »* à la Commission Justice et Paix et à la communauté internationale en sollicitant une enquête internationale transparente sur les atrocités commises dans la région de Béni. En vain. A la base du mouvement de sensibilisation, il y avait le Père Vincent Machozi, cet homme de Dieu, aujourd’hui martyr, qui avait créé voici 10 ans le site benilubero.com, une référence pour les journalistes, chercheurs… qui cherchaient des informations sans langue de bois. « ... Si jamais le peuple congolais avait écouté la voix de www.benilubero.com, et mis en pratique ses recommandations, les manœuvres actuelles d’occupation rwandaise du Kivu-Ituri et de balkanisation de la R.D. Congo ne seraient pas arrivées à leur stade actuel », peut-on y lire dans l’éditorial.
« Pourquoi me tuez-vous? »
C’est à 23h, ce dimanche 20 mars 2016, qu’une dizaine de soldats en uniforme de l’armée congolaise, lourdement armés, venus en jeep, ont fait irruption dans l’enceinte du Centre social «Mon Beau Village», à Vitungwe-Isale, où s’étaient retrouvés tous les chefs coutumiers Nande venus prendre part à une réflexion sur la paix convoquée par Mwami (NDLR: le roi) Abdul KALEMIRE III. Les malfaiteurs ont immédiatement exprimé vouloir atteindre le chef KALEMIRE et le Père Vincent. Les témoins ont tenté vainement de camoufler la présence des deux personnes ciblées. Les tueurs ont vu le Père Vincent occupé à son ordinateur en plein air, dans la fraîcheur de la cour. Aussitôt se déchaîna une rafale de balles au milieu desquelles on entendit ces seuls mots du Père Vincent: « Pourquoi me tuez-vous? », après quoi il s’allongea à terre et expira. Quant au chef KALEMIRE III, il échappa au pire uniquement du fait qu’il venait de quitter la compagnie du Père Vincent pour aller se reposer.
De nombreuses menaces de mort
La mort tragique du Père Vincent n’est pas une surprise pour la communauté Nande et pour tous ses proches, témoins du record impressionnant des attentats et menaces de mort auxquels il avait survécu jusqu’ici, à cause de son zèle pour la paix et l’unification. En 2003, il fut forcé de s’exiler aux Etats-Unis. Depuis son retour en RDC en 2012, il avait échappé à sept attentats. Bien plus, les causes directes de son assassinat plongent leurs racines dans les articles à caractère extrêmement sensible, publiés ces derniers jours pour défendre la paix au sein de sa communauté, dont un sur l’appréhension à Isale-Bulambo de deux soldats rwandais portant des passeports tanzaniens. Et c’est dans cette contrée, où la victime n’a cessé d’alerter les opinions sur l’infiltration des hors-la-loi étrangers soutenus par le gouvernement congolais, qu’il sera abattu.**
Pour l’amour de notre peuple, je ne me tairai pas
« Lorsque je l’ai vu la dernière fois fin-octobre, raconte le Père Emmanuel Kahindo, vicaire général des Augustins de l’Assomption, dits Pères Assomptionnistes, il m’avait dit en nous séparant: ‘Mes jours sont comptés. Je serai assassiné, je le sens. Tu ne me verras plus, je le sens, mais comme le Christ, pour l’amour de notre peuple, je ne me tairai pas. Je vais continuer mon combat jusqu’au bout et continuer à dénoncer tous ceux qui sont en train de semer la division et la haine entre les ethnies dans cette région pour régner et continuer à en exploiter les richesses’. Combien de kilomètres, poursuit le Père E. Kahindo, le Père Machozi n’a-t-il parcouru pour rencontrer les chefs coutumiers aussi bien en Ituri que dans les territoires du Nord-Kivu pour les sensibiliser à l’unité! »
La manifestation qui dérangeait Kinshasa
Deux jours plus tôt, la communauté Nande, excédée par les atrocités commises contre les siens, a osé manifester à Kinshasa, devant le Parlement. « Les yeux des omnipotents du pouvoir en place n’ont pas digéré positivement cet acte. Ainsi, autant de préalables pouvaient-ils logiquement pousser à décapiter la communauté dont le Père Vincent est la «tête», commente le site benilubero.com avant de conclure « il y a lieu de compter le regretté Père parmi les héros de la Paix, la réconciliation et l’unification non seulement au sein de la communauté Yira (Nande), mais encore au regard de tous ceux qui sont épris par le souci de la paix de par le monde. »
Béatrice PETIT
A lire, l’article de Béatrice PETIT « Nord Kivu – Les massacres oubliés » dans le journal Dimanche n°12, qui paraît ce mercredi 23 mars 2016. Pour s’abonner à Dimanche, suivre ce lien: http://www.cathobel.be/abonnements-2/