Crise migratoire : Et si le bon sens l’emportait… enfin ?


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Crise migratoire : Et si le bon sens l’emportait… enfin ?
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
5 min

distribution_nourriture_migrantsDepuis plus d'un an, l'afflux de migrants en Europe s'intensifie. Avec comme corolaire, une peur croissante d'une large frange de la population de l'Union européenne.

La peur de "l'étranger, inconnu" dans un climat sécuritaire largement dominé par les craintes liées aux attentats terroristes explique en partie la situation actuelle. Ce n'est là qu'une des raisons qui poussent certains pays à fermer leurs frontières ou à interdire que les réfugiés s'installent sur le sol. Même la Belgique n'échappe pas à ce phénomène. Qu'on se rappelle les réunions houleuses dans les communes qui devaient accueillir un centre Fedasil ou de la Croix-Rouge: échanges d'insultes, invectives de toutes sortes, colère à l'égard des élus… Et puis, une fois les réfugiés installés, certains habitants reconnaissent que le sentiment de crainte a été exagéré et que ces gens sont finalement "comme nous". Le drame est que le monde politique - dans une large partie - et une certaine presse alimentent cette peur.

Récemment, les quotidiens du groupe Sud Presse (La Capitale, La Meuse, La Province et La Nouvelle Gazette) titraient en "Une" de leur édition: "Invasion de migrants - La côte belge menacée!" De toute évidence, un titre qui stigmatise les réfugiés et induit une peur à leur égard. Cela montre à quel point cette question entraîne des fantasmes. Mais dans ce cas, il y a bel et bien une faute déontologique car le journalisme ne consiste pas à alarmer, mais à informer sur les faits, voire les analyser. Parler "d'invasion" provoque une peur qui peut inciter à la haine. C'est punissable par la loi!

Nécessité d'agir

Il est donc urgent que le réalisme et le bon sens reprennent le dessus. De toute évidence, la crise migratoire est un défi. Personne ne le nie. Un défi pas seulement pour l'Europe, mais aussi pour le reste du monde. Jamais, notre planète n'a connu autant de populations déplacées. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR), plus de 60 millions de personnes dans le monde sont des réfugiés, soit à l'intérieur de leur propre pays, soit à l'extérieur. En 40-45, ils étaient moins de 50 millions! C'est dire la nécessité d'agir.

Une des premières actions à mener - et elle doit l'être par nos élus - c'est de rappeler (et même de marteler) la réalité des chiffres. Non, la Belgique n'est pas menacée d'invasion. Pas plus que l'Europe. Une récente étude de la Banque Nationale de Belgique (BNB) a clairement démontré que notre pays est en mesure de supporter la vague de migrants et que le nombre actuel de demandeurs d’asile arrivant chez nous ne constitue pas un défi insurmontable pour les finances de l’Etat. Pour l'institution, les surcoûts de dépenses publiques engendrés par l’accueil des migrants devraient être amortis d’ici 2020. La BNB souligne qu'en termes d’arrivées, la situation actuelle n’atteint pas encore les chiffres des années 1999 et 2000 durant lesquelles notre plat pays a accueilli respectivement 35.800 et 42.700 réfugiés, fuyant en grande partie la guerre du Kosovo. En 2015, quelque 35.500 demandeurs d’asile sont arrivés chez nous. On compte actuellement deux demandeurs d’asile pour 1.000 habitants en Belgique, ce qui en fait le septième pays européen le plus sollicité, loin derrière la Hongrie (18 pour 1.000) et la Suède (8 pour 1.000). Enfin, la Banque Nationale estime que ces migrants généreront 0,1% de croissance supplémentaire en 2020.

Que ce soit au niveau européen ou dans chaque pays, on doit s'interroger aussi sur la pertinence des actions menées. Ainsi, le démantèlement de la "jungle" de Calais, non seulement ne résoudra rien, mais ne fera qu’ajouter aux tensions. Dans une lettre ouverte au ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, huit associations ont pointé du doigt l’absence de solutions alternatives et jugent que cette décision fragilisera encore un peu plus les quelques milliers d’exilés "que la France et la Grande Bretagne se montrent incapables d’accueillir convenablement."

Eriger des murs, renforcer les contrôles policiers, surveiller les côtes du Vieux continent, coûtent cher. Sans compter les 3 milliards d'euros promis à la Turquie pour qu'elle garde les réfugiés sur son territoire. Ne vaudrait-il pas mieux utiliser ces fonds pour humaniser l'accueil tout en examinant les dossiers avec lucidité. En accueillant ces personnes et leur permettant de vivre dans la dignité à laquelle chaque être humain a droit serait plus porteur que de dégager des fonds pour se protéger d'une menace que l'on croit réelle et qui est exagérée.

Deux pays ont en tout cas compris que la crise migratoire est aussi une opportunité: l'Allemagne et le Portugal. Le Premier ministre portugais a proposé d'accueillir jusqu'à 10.000. En septembre dernier, un plan global européen a défini la répartition de 160.000 réfugiés sur l’ensemble des territoires des états membres. Depuis, le processus tarde à se mettre en place. Mais, alors que des centaines de migrants arrivent chaque jour en Grèce ou en Italie, le Portugal est parvenu à en accueillir… trente-deux. Pour le pays, c'est un besoin pour sortir de la crise économique et financière. Les observateurs jugent que ces réfugiés seraient un véritable catalyseur pour le développement du Portugal et des contributeurs indispensables pour alimenter le système de sécurité sociale dans un pays qui compte 3,5 millions de retraités. Bref, pour Lisbonne, s'il y a un investissement à faire pour accueillir les réfugiés, leur apport sera largement positif une fois qu'ils seront intégrés.

En chinois, le mot "crise", s'écrit avec deux idéogrammes. Si le premier signifie "danger", le second veut dire "occasion ou chance", c'est-à-dire "opportunité. Des mots qui reflètent une grande sagesse... à méditer!

J.J.D.


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