A l’occasion de la Cop21 qui se déroule en ce moment à Paris, l’institut catholique Acton propose une réflexion sur la compatibilité du libre marché avec la préservation de notre Maison commune.
Dans son encyclique Laudato Si’ sur la « sauvegarde de la maison commune », le pape François appelle de ses vœux un dialogue ouvert et honnête à plus de vingt reprises. Une exhortation que l’Institut Acton, qui se consacre à l’étude de la religion et de la liberté, a accueillie en convoquant à l’Université pontificale Sainte-Croix de Rome un colloque d’experts sur le thème « en dialogue avec Laudato Si’: les libres marchés peuvent-ils nous aider à sauvegarder notre maison commune? »
En ouvrant les discussions, le président de l’Académie pontificale des sciences et des sciences sociales, Mgr Sanchez Sorondo, a souligné que cette deuxième encyclique du pape était sociale avant d’être « verte ». En effet, le prélat soutient que l’un des éléments fondamentaux de Laudato Si’ est précisément la corrélation entre la vulnérabilité de la planète et les pauvres de ce monde, ces derniers étant les plus touchés par les conséquences de la dégradation de l’environnement, tout en étant les moins responsables d’un tel processus.
Les considérations de Mgr Sorondo le conduisent à faire sien l’appel du pape « à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres », préconisant à cet effet la formation d’un partenariat planétaire visant à transformer les mécanismes socio-politiques et ainsi réduire les inégalités. Néanmoins, d’après le prêtre jésuite Robert Sirico, co-fondateur de l’Institut Acton, cette quête d’égalité doit avant tout avoir lieu dans le sens de l’égale diffusion du progrès et ainsi de l’augmentation globale de l’espérance de vie. Le père Sirico partage l’inquiétude du Saint-Père quant au « terrible pouvoir » que confèrent les avancées technologiques à l’humanité, et la possibilité que celles-ci soient utilisées à mauvais escient (Laudato Si’, n. 104). Il questionne en premier lieu la validité de la centralisation du pouvoir: « Si rien n’assure que ce pouvoir sera utilisé avec sagesse, le fait de centraliser le contrôle de son utilisation entre les mains de politiciens augmente-t-il la probabilité de sa juste utilisation? » La coopération dans l’utilisation des ressources de la terre, que nous sommes naturellement appelés à mettre en œuvre en tant que chrétiens, doit résulter du libre-échange qui dépasse «la limitation artificielle des frontières de la ville et de la nation». Cette coopération, conclut-il, doit naturellement s’inscrire dans un cadre juridique et moral bien défini, le champ de la morale relevant essentiellement de la compétence de l’Eglise, qui doit se garder d’entrer « dans des questions techniques et de proposer des systèmes ou des modèles d’organisation sociale » (Doctrine sociale de l’Eglise, n. 68).
L’homme, ressource principale de la maison commune
Les exposés des différents intervenants ont convergé dans l’idée que le souci de préservation de l’environnement ne doit pas nous faire oublier le primat accordé à l’homme dans l’ordre créé, conformément aux enseignements des Ecritures et du Magistère de l’Eglise. Le père Sirico a ainsi rappelé que le pape François, de même que ses prédécesseurs, « ont condamné toute forme d’environnementalisme qui néglige ou instrumentalise la vie humaine ». La mise en garde de Benoît XVI – surnommé « Pape vert » en son temps – qui voyait dans l’athéisme la principale menace pour la nature, a largement inspiré les discussions. L’absence de référence à Dieu conduit, selon lui, à deux attitudes spéculaires: l’exploitation sauvage de la nature ou la divinisation de celle-ci.
A cet égard, Riccardo Cascioli, directeur du quotidien catholique italien La Nuova Bussola Quotidiana et président du Centre européen d’études sur la Population, l’Environnement et le Développement, a dénoncé les dérives du concept de « développement durable ». Un concept qui instille l’idée que la présence de l’homme sur terre doit être limitée, notamment par le biais de programmes de contrôle des naissances, déjà vivement critiqués par le Conseil pontifical pour la famille en 1994 dans son document « Dimensions éthiques et pastorales des tendances démographiques ». Le Conseil décelait dans ces pratiques l’expression d’un néocolonialisme de la part des pays riches à l’encontre des pays en voie de développement.
Pour ce qui est des façons concrètes de répondre à l’appel porté par le pape dans son encyclique, l’entrepreneur agricole et rédacteur en chef du magazine Strade, Giordano Masini, préconise l’ouverture des marchés, faisant valoir, par exemple, que le bond de productivité enregistré ces soixante dernières années a permis de réduire de 68% la surface de terre utilisée pour produire la même quantité de nourriture, et que cette réelle «Green Revolution» résulte de la créativité de l’homme et non de l’action de gouvernements. L’entrepreneur a cité les propos du pape François selon lequel «on ne peut exiger de l’être humain un engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité» (Laudato Si’ n. 118).
Enfin, Philip Booth, professeur de finance, politiques publiques et éthique à la St. Mary’s University de Londres, a pour sa part observé que l’accès d’un grand nombre de pays très pauvres aux marchés mondiaux a eu pour effet de faire reculer les inégalités et la pauvreté dans ces pays, ajoutant en outre que le libre marché protège les populations de la volatilité des prix de la nourriture – dans la mesure où les prix des aliments sont moins sensibles à la perte de récolte dans un pays où la population a accès aux marchés mondiaux.
Les réflexions engagées ont mené à la conclusion qu’en matière de préservation de l’environnement, l’homme est la solution, non le problème, et que créer des conditions optimales pour que sa créativité et son esprit d’entreprise puissent s’exprimer librement «au service de notre maison commune» doit être la principale préoccupation d’un gouvernement.
De notre correspondante à Rome, Solène Tadié