150 dirigeants mondiaux sont réunis dès ce lundi 30 novembre à Paris pour participer à la COP21, la 21ème conférence mondiale sur le climat de l'ONU. Durant près de deux semaines, les représentants de 195 pays (plus l'Union Européenne) seront réunis au Bourget en vue de conclure un accord ambitieux sur le climat.
Pour le climatologue, Jean-Pascal van Ypersele, la COP21 sera une étape cruciale pour la protection du climat. Elle doit aboutir à un nouvel accord international ambitieux et contraignant sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C. Après les désillusions des précédents sommets, les défis à relever par les gouvernements internationaux sont de taille, mais pas insurmontables. Pour Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l'UCL et ancien vice-président du GIEC (le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), la conférence de Paris "ne résoudra pas tous les problèmes mais reste une étape très importante sur le long chemin de la protection du climat qui est loin d’être terminé, après la convention sur le changement climatique signée à Rio, en 1992 et le protocole de Kyoto en 1997."
Barack Obama s’est prononcé, en août dernier, en faveur de mesures permettant de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici la fin du siècle. Cet engagement des Etats-Unis est un signe encourageant en vue du sommet de Paris…
Tout à fait. Les Etats-Unis sont un acteur majeur, ils représentent, à eux seuls, à peu près un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre; la Chine ayant un autre quart et le reste du monde la moitié. Les Etats-Unis qui annoncent des efforts de leur côté et aussi une collaboration avec la Chine, c’est très encourageant.
Qu'en est-il des économies montantes comme l'Inde ou le Brésil?
Ces pays sont confrontés à la question des changements climatiques et aux défis que ceux-ci représentent pour leur agriculture, la santé de leur population, etc. Mais ils sont aussi confrontés à des enjeux comme l’éradication de la pauvreté et l’accès à l’énergie de base qui, souvent, n’est pas disponible pour toute leur population. S'ajoutent à cela des problèmes d’environnement ou l’accès à de l’eau potable pour tout le monde. Ces pays doivent concilier les besoins de développement aux besoins qui sont liés à la protection du climat, ce qui n’est pas évident.
A quoi s'expose-t-on si on ne parvient pas à limiter la hausse des températures à 2 degrés d'ici la fin du siècle?
La température a augmenté d’un petit peu moins d’un degré depuis le milieu du 19e siècle. On sait que les impacts des changements climatiques, que ce soient les canicules, les inondations, l’élévation du niveau des mers ou les effets sur l’agriculture augmentent avec la température globale. Mais il n’y a pas un monde où tout va bien jusqu’à 2 degrés et un monde où tout va mal au-delà de 2 degrés. C’est une augmentation progressive qui risque à un certain moment de connaître une accélération extérieure. Ce seuil de 2 degrés a été défini comme valeur limite pour préserver l’habitabilité de la planète, l’humanité et les écosystèmes sur le long terme.
Quelles sont les conséquences les plus visibles de ces dérèglements climatiques?
La fonte des glaciers est certainement la chose la plus visible. J’étais en vacances du côté de Chamonix cet été, c’est très frappant, il faut descendre plus bas pour aller voir la mer de glace, les escaliers doivent être prolongés chaque année. Un thermomètre qui montre la température en moyenne mondiale, ça n’existe pas. C’est un chiffre qui sort de calculs. Et puis, c’est très abstrait la température en moyenne mondiale. Par contre, les glaciers qui disparaissent, c’est quelque chose de très concret. Mais, ce sont aussi les effets des canicules sur la santé. Cet été, ce sont des centaines de personnes qui sont décédées en Egypte, au Pakistan, en Inde ou en Europe en raison de températures très élevées durant de longues semaines. Ce sont aussi les inondations suite à une intensification des pluies liée aux océans qui envoient plus de vapeurs d’eau dans l’atmosphère. Même si toutes les inondations ne peuvent pas être attribuées aux changements climatiques, leur nombre et leur impact sont de plus en plus marquants.
A côté des responsabilités des Etats, comment pouvons-nous agir en tant que citoyens pour inverser la tendance?
La première manière, c’est d’essayer de comprendre d’où viennent ses propres émissions de CO² et de gaz à effet de serre. Après un petit inventaire de son habitation, avec un technicien de l’énergie, on peut facilement réduire sa consommation d’énergie et faire baisser les factures d’électricité et de chauffage. On peut aussi favoriser les transports publics, la marche, le vélo au détriment de la voiture ou encore évaluer si on a vraiment besoin de voyager en avion, ailleurs dans le monde, pour avoir de bonnes vacances… l’avion est très polluant en termes de gaz à effet de serre. Dans l’alimentation, on peut également poser des choix qui génèrent moins d’émissions de gaz à effet de serre. La viande rouge, en particulier, contribue à des émissions de CO² et de méthane très importantes. L'autre manière d'agir en tant que citoyen, c’est l’interpellation. Ça coûte le prix d’un timbre ou d'un courriel pour interpeller un niveau de pouvoir dans sa ville, sa région ou de l’état fédéral, avec des suggestions ou des questions liées aux changements climatiques.
Vous avez préfacé, il y a quelques mois, l’encyclique Laudato Si’ du pape François. Quel regard portez-vous sur la démarche du pape à travers ce texte et, selon vous, quelle en est sa portée?
L’encyclique va beaucoup plus loin que ce que les scientifiques peuvent faire puisque le GIEC, de par son mandat, a l’obligation de ne pas exprimer de jugements de valeur et de s’en tenir aux faits scientifiques bien établis. En se basant sur les valeurs et dans ce cas-ci les valeurs chrétiennes, catholiques, le pape propose une prise de conscience par rapport à la responsabilité des Eglises, des décideurs politiques, des acteurs économiques et de chacun par rapport non seulement aux changements climatiques mais, plus largement, par rapport à la question des effets de l’activité humaine sur l’environnement et sur la manière dont le développement se passe et fournit, ou non, un cadre qui convient à la vie humaine sur la surface de la planète.
L’encyclique rejoint les préoccupations du GIEC sur les conséquences des changements climatiques sur les populations les plus pauvres et en particulier sur les enfants.
Les plus pauvres sont, en règle générale, malheureusement les plus gravement atteints alors qu'ils sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre et parmi eux, les enfants sont effectivement encore plus fragiles et plus vulnérables. Le pape attire, à juste titre, le regard des Etats sur la réalité de ces populations, tout comme le fait le GIEC.
Le pape évoque également l’importance de retrouver des valeurs qui permettront d’inverser la tendance. Il invite à ne pas se focaliser uniquement sur les technologies ou les économies et à remettre l’humain au centre de la question fondamentale du climat. Il appelle aussi à une solidarité mondiale. Cette vision n'est-elle pas quelque peu utopique?
Je pense que le pape est tout à fait dans son rôle quand il parle de cela. Le GIEC se rapproche de cette position quand il attire l’attention sur le fait qu’aucun citoyen, aucun état, aucun acteur économique ne peut, à lui tout seul, résoudre le problème. Il y a une obligation de faire intervenir une forme de solidarité mondiale qui reconnaît les responsabilités des uns et des autres. Cette encyclique du pape François est très utile avant la conférence de Paris et je crois qu'elle marquera les esprits, bien au-delà de cette conférence, en ce sens que le pape appelle à reconnecter l’action individuelle et la prise de conscience individuelle avec les valeurs chrétiennes, dans le cas de l’encyclique, pour une meilleure vie sur terre.
Propos recueillis par Manu VAN LIER