
Mgr Bonny, le cardinal Danneels et Mgr Van Looy, les évêques belges présents au Synode (de g. à dr.)
A l’approche du Jubilé de la Miséricorde, le second volet de l’assemblée du Synode pour la famille répond à l’appel du pape de cheminer ensemble avec « courage apostolique, humilité évangélique et oraison confiante ».
C’est par la méditation du patriarche de Babylone des Chaldéens, Mgr Sako, que s’est ouverte vendredi la cinquième journée des travaux du Synode sur la famille, après l’appel du Saint-Père à « consacrer la prière de l’Heure tierce à l’intention de la réconciliation et de la paix au Moyen-Orient », particulièrement soucieux de la situation des chrétiens d’Orient. Les pères synodaux étaient réunis pour la quatrième Congrégation générale, durant laquelle ont été présentés les rapports des travaux des treize cercles mineurs (disponibles sur le portail du Saint-Siège), consacrés à la première partie de l’Instrumentum laboris sur « l’écoute des défis sur la famille », à la lumière des trois premières congrégations.
Les différents groupes linguistiques ont de manière générale exprimé leur satisfaction quant aux méthodes de travail des cercles et considèrent être parvenus à l’écoute mutuelle que le pape a appelée de ses vœux. Une semaine de débats animés, menés avec la parrhésie chère à François, qui a néanmoins dû intervenir de manière exceptionnelle mardi pour « recadrer » les discussions. Il aurait exhorté à « ne pas céder à l’herméneutique de la conspiration », qui est « sociologiquement faible et qui n’aide pas spirituellement« , d’après un tweet du père Antonio Spadaro qui était présent à l’assemblée. Plusieurs commentateurs avaient alors avancé qu’il s’agissait d’une réponse aux doutes formulés par quelques pères synodaux sur les méthodes de travail des cercles mineurs, ceux-ci craignant une mauvaise prise en compte des propositions des différents cercles dans le rapport final, rédigé parallèlement par une commission séparée de dix pères synodaux nommés par le pape. Une préoccupation qui, selon le vaticaniste Andrea Tornielli, a trait à la volonté d’une défense de la doctrine traditionnelle de l’Eglise sur le Sacrement du mariage.
Aucune modification doctrinale
Bien que cette question ne soit pas majeure parmi les nombreux thèmes abordés, l’admission à l’Eucharistie des personnes divorcées et remariées reste le dossier brûlant de cette deuxième assemblée synodale pour la famille. Bien que le Saint-Père ait rappelé que la salle du synode n’était ni un Parlement, ni un Sénat, l’opposition s’est manifestée dès le premier jour des travaux par une confrontation entre le cardinal allemand Reinhard Marx, largement favorable à la communion pour les divorcés remariés, et l’une des figures de l’aile dite « conservatrice », le premier ayant vu dans la fermeté des positions du second un « statu quo » semblable à celui d’avant le Synode de 2014.
Aux pères synodaux qui craignent que cette démarche d’ouverture n’offre la possibilité aux loups « d’entrer dans la bergerie », comme l’a affirmé un évêque africain en début de semaine, le pape a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait en aucun cas de modifier la doctrine et que les ouvertures ne s’effectueraient que sur un plan pastoral. A cet égard, la rédactrice en chef de Radio Vatican Romilda Ferrauto, qui assistait aux travaux, a rapporté la dénonciation par certains évêques du durcissement du débat, d’une forme de « polarisation en combats antagonistes » ayant émergé dans l’entre-deux synodes, ceux-ci invitant à « ne pas quitter le terrain vivant de ces hommes, femmes et enfants au nom desquels [ils ont] été envoyés ici ».
Un document de travail trop « euro-centré »
Les congrégations générales et les cercles mineurs semblent converger sur le caractère parfois inadapté de l’Instrumentum laboris face aux réalités multiples de l’Eglise dans le monde, notamment dans le langage que celle-ci doit adopter pour diffuser son message aux familles, le jugeant trop « négatif », abstrait et surtout trop « occidental », voire « euro-centré ». Un sentiment exprimé dès le premier jour par Mgr Johan Bonny, évêque d’Anvers et représentant des évêques de Belgique, qui a choisi de rendre publique l’intégralité de son intervention dans laquelle il formule notamment la proposition inédite de « reconnaître aux évêques locaux l’espace d’action et la responsabilité nécessaires à formuler dans la portion du peuple de Dieu qui leur est confiée, des réponses adéquates aux questions pastorales. »
Les constats initiaux de Mgr Bonny ont été partagés par nombre de pères synodaux lors des circuli minores, à commencer par le cardinal Sarah, rapporteur du deuxième groupe francophone, qui a évoqué « le risque de voir les choses à travers un certain prisme », de même que d’autres rapporteurs comme les cardinaux Collins, Pell, Bagnasco et l’archevêque de Philadelphie Mgr Chaput, qui a regretté une vision trop centrée sur « l’Europe occidentale et l’hémisphère nord ». Et si l’idée d’une forme de subsidiarité pastorale fait débat dans l’assemblée, les différents groupes linguistiques semblent s’accorder sur la nécessité d’une amélioration du document de travail, que le cardinal Tagle a qualifié de « texte martyr » devant être réétudié en collégialité.
Le rôle de la femme à l’étude
Des débats inattendus autour de la place de la femme dans la société et de l’Eglise, ainsi que des façons de les soutenir et de les valoriser ont émergé des discussions. Suite à la récente clarification du Saint-Père – depuis l’avion qui le ramenait de Philadelphie à Rome – quant à l’impossibilité pour les femmes d’accéder au sacerdoce, le débat s’est prolongé en salle du synode, pour donner lieu à de nouvelles réflexions, notamment exprimées par le président de la Conférence épiscopale du Canada, Mgr Paul-André Durocher, qui a publié son intervention sur son blog. Ce dernier suggère ainsi l’établissement d’un processus qui pourrait éventuellement permettre aux femmes, à terme, de devenir diacres, « non pas en vue du sacerdoce mais en vue du ministère ». Ce dernier s’est également prononcé en faveur de la nomination de femmes à de hautes fonctions au sein de la Curie romaine. A propos de la diaconie, Mgr Luc Van Looy, évêque de Gand, a souhaité que l’Eglise se focalise davantage sur le diaconat et le service afin d’aider les familles prises dans la tourmente des crises migratoires. L’intervention de Mgr Van Looy a plus précisément porté sur les familles en migration et en fuite qui souffrent de l’exclusion sociale. « Comment leur donner un espoir crédible? » s’est interrogé l’évêque gantois qui est aussi Président de Caritas Europe. Et de rappeler que justement « l’Eglise dispose des moyens pour être présente d’une façon très efficace auprès de ces familles. Grâce à son réseau international, avec l’aide de l’expérience des organisations locales de Caritas, elle peut créer des structures de solidarité qui éliminent la pauvreté et qui veillent à ce que les règles éthiques et sociales soient respectées. »
Faisant écho aux nombreuses interventions axées sur les violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales encore trop largement répandues dans le monde, Mgr Durocher a suggéré que le Synode établisse « une interprétation correcte de l’Ecriture Sainte », affirmant également que les passages où saint Paul parle de la soumission de l’épouse à son mari « ne peuvent en aucun cas justifier la domination de l’homme sur la femme et encore moins la violence à son égard. »
De manière plus générale, les discussions de la semaine ont abouti à d’autres nombreux points de convergence, parmi lesquels la nécessité d’exalter la vitalité et la beauté de la famille à la lumière de la foi, en s’éloignant d’analyses par trop sociologiques d’une « crise »; la dénonciation de la « théorie du genre » et son caractère « idéologique » souvent imposée aux familles; une plus grande attention à l’égard des personnes âgées ou porteuses de handicap; l’importance d’un engagement commun dans l’évaluation des technologies bioéthiques pour protéger la vie humaine. La question particulièrement sensible des chrétiens d’Orient et des manières concrètes d’accompagner les familles accueillies dans les diocèses semblent faire l’unanimité parmi les pères synodaux, de même que la logique d’accueil avec laquelle l’Eglise doit répondre à la crise migratoire et au défi du dialogue interreligieux que celle-ci suppose. Des thèmes qui seront approfondis ces deux prochaines semaines.
Si le cardinal André Vingt-Trois avait, dès l’ouverture des travaux synodaux, mis les journalistes en garde contre le risque d’une « déception » s’ils étaient « venus à Rome dans l’espoir d’en repartir avec un changement spectaculaire dans la doctrine de l’Eglise », il apparaît assez nettement, au terme de cette première semaine, que nous assistons à un questionnement de l’Eglise dans son rapport au monde sans précédents depuis le Concile Vatican II.
De notre correspondante à Rome, Solène Tadié