Tandis que les évêques ont interrompu leurs discussions pour la célébration des 50 ans de l’instauration du Synode des évêques par le pape Paul VI, l’issue de cette seconde assemblée pour la famille apparaît encore incertaine.
« Il faut que [la] doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre temps. Autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration; et il faudra recourir à une façon de la présenter qui corresponde mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral ». Ces mots de Jean XXIII, prononcés le 11 octobre 1962 lors du discours d’ouverture du IIe Concile œcuménique du Vatican, trouvent aujourd’hui un écho particulièrement retentissant. Cette problématique alors posée par Jean XXIII a nettement orienté les discussions de cette nouvelle semaine de travaux sur la famille, consacrés aux deux dernières parties de l’Instrumentum laboris – sur le « discernement de la vocation familiale » et « la mission de la famille aujourd’hui ». Ce questionnement sur la façon d’associer au mieux doctrine et pastorale a donné lieu à une très grande variété d’interventions, comparées par un père synodal à une gamme de tonalités s’échelonnant de 0 à 100.
Miséricorde et Vérité
La prééminence à accorder à l’une ou l’autre valeur a été le principal objet de dissension entre les participants à l’Assemblée, une opposition qui s’est une nouvelle fois cristallisée autour de l’accès à l’Eucharistie pour les divorcés remariés. Les laudateurs de la vérité et de la justice – entendue comme application de la loi – en tant que principe ultime font valoir que les difficultés au sein des familles ont « en quelque sorte toujours existé » et que le rôle de l’Eglise n’est pas d’adhérer à l’opinion publique mais d’être fidèle au Seigneur qui était sans complaisance à l’égard de la famille, la protégeant ainsi des « aventuriers ». C’est ce qu’a rapporté la rédactrice en chef de Radio Vatican, Romilda Ferrauto, lors du point presse de mercredi, précisant que les défenseurs de cette ligne plaident en faveur d’une présentation claire et « sans complexe »de la vérité prophétique de l’indissolubilité du mariage, condition sine qua non de la crédibilité de l’Eglise dans un monde en mal de repères. Les partisans de « l’ouverture » réaffirment quant à eux la nécessité d’accompagner les fidèles malgré leurs échecs, sans pour autant diluer la doctrine. L’un d’entre eux a rappelé la difficulté des principes imposés par l’Église aux familles, que les religieux auraient peut-être tout autant de mal à honorer s’ils étaient mariés.
Des antagonismes qui ont fait craindre à d’autres intervenants une dérive du débat vers un « binôme du permis et du défendu ». A cet égard, les discussions se sont orientées vers une voie médiane inspirée par la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, citée en exemple par le groupe germanophone lors des cercles mineurs de mardi, rappelant que l’enseignement de saint Thomas, de même que le Concile de Trente, préconisent une « application des principes de fond avec prudence et sagesse à l’égard des situations particulières, souvent complexes ». Le rapport du groupe linguistique porté par le cardinal Schönborn, plébiscité – semble-t-il – par une large partie de l’Assemblée, précise que cela « ne concerne pas des exceptions dans lesquelles la Parole de Dieu ne serait pas valable, mais bien la question d’une application juste et raisonnable, avec prudence et sagesse, des paroles de Jésus, par exemple sur l’indissolubilité du mariage ». Le troisième cercle francophone a également appelé dans son rapport à se faire l’écho de « l’inlassable confiance de Dieu en la capacité de l’homme à vivre en communion ».
Une meilleure préparation au mariage
Lors du vol retour des États-Unis vers Rome en septembre, le pape avait déploré la mauvaise préparation des couples au mariage, expliquant que « pour devenir prêtre, il faut une préparation de huit ans. Et comme ce n’est pas définitif, l’Eglise peut retirer le statut clérical. Alors que pour te marier, ce qui est pour toute la vie, on fait quatre cours, quatre fois ». « Il y a quelque chose qui ne va pas », avait-il remarqué, formulant le vœu que le Synode se penche sur cette question. Plusieurs pères y ont répondu par des propositions d’accompagnement visant à replacer la foi au centre de l’union et à offrir une formation plus complète au sacrement. Un intervenant cité lors du briefing quotidien a suggéré en début de semaine l’établissement d’un « noviciat » obligatoire d’au moins six mois pour les couples, en vue de l’élaboration de leur projet de vie commune.
Au regard de la forte diminution du nombre de mariages célébrés religieusement, notamment dans les grandes villes européennes, le cercle francophone emmené par le cardinal guinéen Robert Sarah à invité à se « demander comment conduire des personnes, et notamment les plus jeunes, à découvrir le sens et l’importance du mariage chrétien alors qu’ils ont du mal à en voir les raisons et la finalité ». Des problématiques jugées cruciales, au même titre que celle des mariages mixtes – notamment entre chrétiens et musulmans – dont les enjeux pour nos sociétés sont devenus des thèmes récurrents des différentes interventions.
La sexualité en discussion
Les interventions de seize couples auditeurs durant la Congrégation générale de jeudi ont mis en relief la nécessité pour l’Eglise de s’en remettre à leur expérience en matière de sexualité conjugale, importante « aussi bien dans le cadre de la réconciliation quotidienne que dans la dimension eucharistique du don », comme l’a indiqué le père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège. La dimension prophétique de l’encyclique Humanae vitae de Paul VI à cet égard a été saluée par plusieurs intervenants.
Le référent hispanophone Manuel Dorantes a, pour sa part, souligné qu’une intervention avait affirmé l’importance de présenter la sexualité humaine de manière positive et recommandé à l’Eglise et aux parents de ne pas confier des questions aussi délicates à l’instruction publique. Aux côtés de thèmes allant de l’adoption au mariage pour les personnes de même sexe, la contraception a également été au cœur des discussions, cette dernière étant assimilée aux nouvelles « colonisations idéologiques » qui cherchent à « détruire la famille ». Des pères synodaux ont notamment dénoncé l’investissement de milliards d’euros et de dollars par les pouvoirs publics dans les contraceptifs divers, sous l’oripeau de droits sexuels et de santé, et l’imposition de ces normes aux pays pauvres comme condition d’accès aux aides financières pour leur développement. Des thèmes qui ont fait consensus à l’Assemblée.
Plus d’autonomie pour les conférences épiscopales
La question de la délégation de certaines décisions au niveau local, abordée par Mgr Johan Bonny, évêque d’Anvers et représentant la conférence épiscopale belge, dès l’ouverture des travaux, semble s’être imposée dans les débats et est de plus en plus évoquée comme une solution à envisager dans certains cas. Bon nombre de pères synodaux, tout en renouvelant leur attachement à l’universalité de l’Eglise, ont plaidé pour une meilleure prise en compte des situations particulières et, par là-même, pour une plus grande latitude aux conférences épiscopales nationales, plus à même de les évaluer. Interrogé par le Vatican Insider, le cardinal allemand Kurt Koch s’est dit pour sa part favorable, dans certaines situations, à des commissions régionales continentales et non pas simplement diocésaines, dans le souci de maintenir une communion solide entre évêques.
Les pères synodaux ont de manière générale fait état d’une semaine plus apaisée et constructive que la précédente. Et si, pour l’heure, l’issue de cette seconde Assemblée synodale peine à se dessiner (nous ignorons toujours si le Souverain Pontife choisira de rendre le document final public ou pas), le choix de la prudence contre des décisions rapides semble être privilégié, dans le but de ne pas susciter la confusion parmi les fidèles. Dans cette optique, divers participants ont appelé de leurs vœux la création d’une commission d’experts sur la question spéciale des divorcés remariés.
Un autre aspect significatif a émergé de ces onze jours de travaux: la tendance de plus en plus marquée des intervenants à engager leur responsabilité dans ce qu’ils perçoivent comme un manquement, un échec dans la transmission de la sagesse chrétienne ces cinquante dernières années. Des réflexions intéressantes en cette date anniversaire, qui se poursuivront certainement bien au-delà des murs de la salle du Synode.
De notre correspondante à Rome, Solène Tadié