Le secrétaire général du CNCD 11.11.11., Arnaud Zacharie, aborde les grands combats que mène son organisation. Rencontre avec un homme engagé.
Du Traité Transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis - le fameux TTIP -, à la conférence sur le climat de Paris, en passant par la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, mais aussi la crise des réfugiés, Arnaud Zacharie se livre à cœur ouvert sur ce qui fait les défis actuels et les réponses que tente d'y apporter le CNCD-11.11.11.
Avec comme devise "Un combat de pleins droits", l'organisation pour l'aide au développement marque clairement sa détermination: mener un combat. Ou des combats. Arnaud Zacharie ne le nie pas, il le revendique. La coupole des ONG belges pour le développement et plus largement, des associations qui sont engagées dans la solidarité internationale, coordonne ses membres autour de trois missions. Tout d’abord, la sensibilisation du public belge à tous les enjeux mondiaux qui ont un impact non seulement dans les pays en développement mais aussi sur le quotidien des citoyens en Belgique et en Europe. Ensuite, interpeller les décideurs politiques. "Ce n’est pas tout de sensibiliser les citoyens, il faut les mobiliser pour tenter de créer des rapports de force en faveur de l’intérêt général", dit-il. Et enfin, la troisième mission porte sur le financement des projets de programmes de développement dans les pays du sud grâce à l’opération 11.11.11 organisée chaque année, autour du 11 novembre. Une opération qui en sera, cette année, à sa 49e édition.
Parmi les luttes menées actuellement, il y a celles qui portent sur deux traités de libre-échange: celui négocié entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis (TTIP), et celui entre l'UE et le Canada (CETA). De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer les dangers potentiels de ces accords commerciaux. Les mots sont forts: "Le TTIP, c’est la mort de la démocratie, de l’intérêt général, des services publics…" Pour Arnaud Zacaharie, l’objectif du Traité TTIP n'est pas de créer un grand marché transatlantique mais bien d'instaurer des convergences réglementaires, en clair, de mettre en place des normes et des règles identiques des deux côtés de l'Atlantique, les plus souples possibles, pour permettre aux firmes transnationales, européennes et américaines, de disposer d’un immense marché.
Quels sont les principaux risques que vous pointez dans ce projet?
Commençons d'abord par mettre en place des normes internes à l’Union européenne; des normes sociales, environnementales, sanitaires… Actuellement, les 28 états membres n’ont toujours pas de normes communes à l’échelle européenne, et on voudrait négocier des normes communes avec les Etats-Unis qui, eux, ont des normes très claires sur toutes ces questions stratégiques. Autre sujet d'inquiétude: le TTIP et le CETA prévoient l'installation d'une cour d’arbitrage privée. Ce système permet aux firmes transnationales uniquement, de porter plainte contre des états qui auraient décidé d’établir des normes sociales, environnementales ou sanitaires qui n’existaient pas au moment où le traité a été signé. Les choix des états seraient subordonnés aux intérêts privés de ces firmes transnationales. Ce système met complètement les démocraties sous la coupe des firmes transnationales dans la mesure où les états ne peuvent pas porter plainte contre ces groupes transnationaux. Voilà ce qui explique la mobilisation, mais la Commission fait la sourde oreille.
Vous luttez aussi pour le climat. Vous avez lancé une campagne: "Un click pour le climat"…
Tout à fait. Elle est aussi appelée "Paris à prendre". Une grande manifestation aura lieu le 29 novembre dans la capitale française et nous espérons rassembler des centaines de milliers de personnes. Un train transportera 10.000 Belges sensibilisés sur les grands enjeux de la Conférence sur le climat à Paris. Il s'agit de sensibiliser les citoyens belges mais aussi de mobiliser les décideurs politiques qui se retrouveront en décembre prochain. N'oublions pas que ce sont les pays les plus pauvres qui polluent le moins mais qui sont les principales victimes des changements climatiques.
La crise des migrants fait l'actualité. Comment le CNCD-11.11. se situe-t-il par rapport aux réfugiés?
Si les réfugiés arrivent en Europe, c’est parce qu’ils fuient leur pays en raison de conflits ou d'une extrême pauvreté. Je ne peux que souligner les incohérences des gouvernements et notamment du gouvernement belge. On cherche une solution structurelle à cette crise de l’asile et on prône l'aide au développement dans les pays d’origine… alors qu'en même temps, le gouvernement fédéral annonce couper 21% du budget de la coopération au développement durant cette législature. Je rappelle qu’on a déjà coupé allègrement dans cette aide au développement dans la législature précédente. Il faut s'attaquer aux clichés et aux idées fausses. On entend souvent dire qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Mais quand on regarde les chiffres, il n’y a que 8% de réfugiés qui sont accueillis par l’Europe. 86% des réfugiés dans le monde sont accueillis dans des pays en voie de développement. Et dans quelles conditions? Il faut aller voir en Turquie, au Liban, en Jordanie, ils sont entassés dans des camps tout à fait invivables. Fatalement, il arrive un moment où ils tentent d’aller un peu plus loin en Europe. Une autre idée fausse est de croire que ces réfugiés auront un impact négatif sur nos emplois et nos revenus. Alors que la réalité est tout autre: à l’horizon de 2020, nous aurons besoin de 2 millions de travailleurs en plus pour financer les retraites. Nous avons besoin d’une immigration, notamment qualifiée. Ces réfugiés ont des diplômes et avaient un emploi. C’est une grande perte pour leur pays d’origine mais c’est aussi une source de travail qui serait capable de répondre aux problèmes démographiques de la vieille Europe et de financer à l'avenir nos systèmes de protection sociale.
Qu'est-ce qui vous motive?
Nous sommes à la croisée des chemins et ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité. Le monde du 20e siècle est en train de s’éteindre et quelque chose de nouveau se crée. Je veux me mobiliser avec ceux qui tentent d’avoir un monde meilleur.
Propos recueillis par Corinne Owen et Jean-Jacques Durré
Extraits de l'émission "En débat" diffusée sur RCF Liège. A réécouter en podcast sur https://www.rcfliege.be.
Article paru dans l'hebdomadaire Dimanche n° 38 daté du 1er novembre 2015