Bien difficile de dire quel sera le résultat du référendum organisé ce dimanche en Grèce. Mais, une chose est sûre: il sera déterminant. Avec comme conséquence un risque de voir la pauvreté s’accroître.
Alors que la Grèce est officiellement en défaut de paiement depuis le 30 juin à minuit, en ne remboursant pas les quelque 1,5 milliard d’euros dus au Fonds Monétaire International (FMI), le référendum voulu par le Premier ministre hellène Alexis Tsipras, pourrait déboucher sur un retour aux urnes pour les Grecs ou un rejet de la patrie de la démocratie par ses partenaires européens.
Dans cette tragédie, qui se déroule sous nos yeux, les rebondissements sont nombreux. Les bras de fer et les déclarations matamoresques aussi. On joue à se faire peur, mais on joue surtout avec l’avenir d’une population qui est étranglée. Ce dossier grec est un jeu de dupes. Tout le monde savait que le pays ne répondait pas aux critères requis pour adhérer à l’Union européenne et encore moins pour son entrée dans la zone euro.
Tout le monde savait
Petit rappel. La Grèce entre dans ce qui était encore la Communauté Economique Européenne (CEE), le 1er janvier 1981. D’emblée, elle bénéficie d’une période transitoire de cinq ans pour adapter son économie aux règles communautaires. En effet, les difficultés économiques prévues du fait de l’adhésion sont importantes, or, le produit intérieur brut (PIB) grec est de 50% inférieur à la moyenne communautaire. Par ailleurs, le pays affiche un taux de chômage plus élevé que ceux de ses partenaires européens et doit faire face à une forte inflation. Il faut dire qu’en 1974, le pays est sorti de sept années de dictature militaire, laquelle a interdit les partis politiques et aboli la monarchie et conduit l’économie en bien piteux état.
L’année où Athènes intègre l’Europe, des élections nationales sont organisées et remportées par le parti socialiste, dirigé par Andréas Papandréou, qui endosse le costume de Premier ministre. Cet économiste est conscient des problèmes et demande à l’Europe la modification des règles fondamentales des traités régissant notamment la Politique Agricole commune (PAC) – à l’époque plus de 26% de la population active travaille dans l’agriculture -. Il ne l’obtient pas et menace de remettre en question l’adhésion de son pays à la CEE. Papandréou finit par obtenir de ses partenaires européens un accroissement des aides communautaires pour son pays.
Un scénario quasi identique va se jouer lors des négociations pour l’entrée de la Grèce dans l’euro. En 1998, le pays n’était pas parvenu à répondre à la plupart des critères de convergence pour être admis dans la zone euro, en particulier le déficit limité à 3% du PIB: le déficit grec représentait déjà 4% de son PIB. Pour parvenir à satisfaire aux critères requis, le Premier ministre de l’époque, Costas Simitis, mène une politique d’austérité, assortie de privatisations, de hausses d’impôts et du blocage des salaires des fonctionnaires. En décembre 1999, l’Union Européenne (UE) décide de lever la décision qui constatait le déficit excessif de la Grèce. Un mois plus tard, la drachme est dévaluée. Avril 2000: des élections législatives anticipées ont lieu, au terme desquelles le parti socialiste grec reprend le pouvoir de justesse. La presse et certains eurocrates saluent par la suite les performances du nouveau gouvernement: baisse de l’inflation qui passe de 8% à 2% et du déficit qui est ramené de 10% à 2%. La Commission européenne et la Banque Centrale Européenne (BCE) se manifestent très positivement en faveur de l’entrée de la Grèce dans la monnaie unique, même si, en coulisses, plusieurs observateurs émettent des doutes sur cette réalité. Ils ont raison: les chiffres présentés ont été gonflés avec une surestimation des excédents des caisses d’assurance sociale et une astuce pour comptabiliser les commandes d’armement, qui ont donné l’illusion de la réduction du déficit grec de 4% en 1997, à 1,8% en 1999. Le déficit réel était en réalité de 6,6% en 1997 et s’il avait bien été réduit de façon importante en 1999, il était toujours de 3,4%. Avec sa dette à 104% de son PIB, la Grèce ne satisfaisait cependant toujours pas au critère lié à l’endettement du pays candidat, qui ne devait pas être supérieur à 60% du PIB. Mais comme d’autres pays (dont la Belgique) avaient été acceptés sans satisfaire à ce critère, il était devenu difficile de l’opposer à la Grèce. Et clairement, personne n’ose s’opposer ouvertement à Athènes.
Les citoyens pris en otage et la dignité humaine menacée
Et voilà comment, quinze ans plus tard, on se retrouve dans cette situation. On ne peut pas jeter toute la faute sur la Grèce: tout le monde savaient et a fermé les yeux. L’erreur récente, est d’avoir constaté une troïka incluant le FMI. Erreur politique d’abord car cela donne à penser que les Européens ne peuvent pas régler leurs problèmes ensemble. Erreur stratégique ensuite car on connaît les critères intransigeants du FMI à l’égard des pays endettés. On a vu ce que cela a induit en Afrique notamment. Récemment, l’ancien ministre des Finances belge et ancien président de la Banque européenne d’Investissement (BEI) jugeait, dans une interview à La Libre, que «le FMI a des exigences déraisonnables» et le 1er juillet, sur les antennes de la RTBF radio, il déclarait: «Les créanciers devraient faire un geste.»
A la veille du référendum, le blocage est complet. Les Grecs se réveilleront-ils soulagés ou «groggy» de celui-ci? Réponse, lundi matin.
Mais, il faut attirer l’attention sur plusieurs choses. La dette grecque n’est pas plus importante que celle de la Belgique, sauf que sa richesse intérieure (le PI ne lui permet pas de rembourser, ce qui n’est pas le cas de notre royaume. Par ailleurs, la situation sociale devient précaire et nombreux sont les Grecs qui glissent dangereusement vers la pauvreté. C’est inacceptable et les hommes politiques de bonne volonté doivent y mettre un terme. Mercredi, le pape François a fait part de sa préoccupation concernant la situation économique et sociale du pays. Il a dit être proche des Grecs et avoir une pensée particulière «pour tant de familles durement éprouvées par une crise humaine et sociale, si complexe et difficile.» Et d’ajouter: «La dignité de la personne humaine doit rester au centre de tout débat politique et technique, comme dans la prise de décisions responsables.» Enfin, si la Grèce quitte la zone euro, voir l’Union, il ne faut pas se cacher que les conséquences seront importantes pour les autres pays, notamment l’Allemagne et la Belgique, mais aussi pour la BCE. De là à imaginer qu’on trouvera une solution, c’est presque certain. Le tout est de savoir à quel prix et dans quel délai. Il y va du sort de millions de personnes qui ne peuvent être prises en otages et qui chaque jour voient leur dignité s’effriter!
Jean-Jacques Durré