Pour mieux saisir la complexité de la vie en Israël, rien de tel que de lire les auteurs locaux. Dans son nouveau roman, Zeruya Shalev nous plonge dans la réalité quotidienne d’une famille israélienne ordinaire.
Un trio familial compose ces pages, qui s’articulent autour de la mère, Hemda, figure tutélaire terriblement présente et accaparante, même au terme de sa vie. Allongée sur son lit, elle règne sur les jours de sa paire d’enfants, qu’elle a aimés avec maladresse et férocité. Quasi silencieuse, elle n’en est pas moins envahissante dans les songes et les choix de sa progéniture vieillissante.
Un titre explicite
Quand sonne le glas, quels sont donc les souvenirs qui émergent et retiennent l’attention, fragile et ténue? Quelles sont les scènes qui restent imprimées jusqu’à la fin, quand bien même elles semblaient enfouies et disparues dans le tréfonds de la mémoire? « Un homme sans parents est davantage exposé à la mort », la finitude apparaît inexorable quand s’éteint le rempart parental et se brisent les murailles censément protectrices. Et Dina, dans la quarantaine, songe désabusée que « la ménopause est une enfance sans espoir, un ciel sans lune (…) après avoir vu nos enfants grandir, nos maris vieillir et nos parents mourir, sommes-nous toutes condamnées à retrouver une verdeur immature, égoïste et repliée sur elle-même, à lécher nos blessures en silence? » Adolescence et maturité se croisent et se bousculent dans ces itinéraires de vie, qui cherchent et perdent, tour à tour, le fil et le sens de leurs choix respectifs. Il n’est pas toujours simple de grandir ni de vieillir, nous rappelle Zeruya Shalev.
Le vase clos du kibboutz
Sur la photo de couverture, une main s’apprête à glisser dans l’eau. Le miroitement et le scintillement font ainsi oublier les drames qui se jouent quelquefois au fil de la vague. Ami exclusif, le lac envahit les bribes épars des rêves ultimes. Car le kibboutz, vase clos de rêves et d’ambitions détruites au bénéfice de la collectivité, impose sa présence dans l’épopée existentielle. Là se sont jouées et se jouent encore bien des destinées fracassées dans l’isolement et le renoncement. Peu importent finalement les goûts de chacun, seule compte la destinée de la nation en construction. Pourtant, de manière sibylline, le « poids glaçant et glacial des regrets » fait peu à peu place à l’avenir qui sera, forcément, « plus léger » dans le cœur des survivants comme Dina, qui se trouve à la croisée des générations et des décisions.
Des obstacles ordinaires
« Que reste-t-il de la paternité à celui qui n’entend pas les pleurs de ses fils pendant la nuit », s’interroge Avner, à l’aube d’un divorce. Remords et doutes s’immiscent dans les pensées de l’avocat, défenseur reconnu des opprimés du régime israélien. Alors, dans la nuit de la séparation, s’impose à lui une solution imparable: être meilleur père qu’il n’a été un époux accompli. Et du côté de Nitzane, l’adolescente en émoi, surgit un autre désarroi, celui de manquer des mots justes, ceux qui ne blessent pas, à force de grandir. Et pendant ce temps, les mères juives s’inquiètent à la pensée de leurs enfants partis à l’armée… Non, la vie n’est pas simple, même du côté des nantis d’Israël.
Angélique TASIAUX
Zeruya SHALEV, « Ce qui reste de nos vies ». Gallimard, 417 pages.