​L’épisode d’Elie, fil conducteur des exercices spirituels de la Curie romaine


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​L’épisode d’Elie, fil conducteur des exercices spirituels de la Curie romaine
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
6 min

retraite curiePas d’audience générale en ce mercredi. La curie et le pape sont en effet en retraite de Carême, depuis le début de la semaine. C’est le prophète Elie qui est au centre des exercices spirituels prêchés par le père carmélite Bruno Secondin.

Pour entreprendre un chemin quadragésimal correct de conversion, il faut avant tout redécouvrir «la vérité la plus profonde sur nous-mêmes, sortir à découvert» et «nous débarrasser de tout masque, de toute ambiguïté». C’est par ce puissant rappel à reprendre avec sincérité en main son histoire que le carme Bruno Secondin a conclu la réflexion de la deuxième journée des exercices spirituels de Carême en cours à Ariccia pour le pape et la Curie romaine.

Sortir de la clandestinité

En suivant l’expérience d’Elie décrite dans les Ecritures, le prédicateur a confronté la «clandestinité» dont le Seigneur appelle le prophète à sortir, et la clandestinité dans laquelle l’on se cache souvent et qui, de nombreuses fois, se dissimule derrière une religiosité uniquement extérieure, privée du courage de la vérité. La base de la réflexion du prédicateur a été le chapitre 18 du premier Livre des Rois, avec le peuple d’Israël et le roi Achab épuisés par la longue famine provoquée par le culte idolâtre de Baal et avec Elie qui est appelé par le Seigneur à se montrer à Achab pour le ramener dans le droit chemin. Cela n’a pas été une lecture continue, mais un rappel de scènes, de personnages qui peuvent illuminer la méditation personnelle et devenir pour chacun provocations, rappels, suggestions.

Le fil conducteur a été «sortir à découvert», se libérer des «ambiguïtés» et avoir le «courage» d’une vie authentiquement chrétienne.

Le premier à être appelé à sortir de la clandestinité est précisément Elie: «Va te montrer à Achab», lui dit le Seigneur. Elie, l’insaisissable, le prophète mythique qui peut disparaître d’un moment à l’autre, doit se révéler et affronter le risque de rencontrer le roi qui le considère comme un ennemi. Il s’agit d’une provocation pour tous ceux qui dans l’Eglise, en revanche, font toujours leurs calculs, renvoient continuellement, sont «victimes des paroles et des diplomaties» et «reculent». En revanche, pour le chrétien, «il y a toujours de nouvelles aventures» auxquelles on ne peut se soustraire «avec l’excuse des menaces d’un Achab quelconque» ou parce que conditionnés par des mythes, des préjugés sur les personnes, des «amitiés et relations» utiles.

Un autre personnage qui est appelé à sortir à découvert est Obadyahu, le majordome d’Achab envoyé par le roi pour contacter Elie. Obadyahu est le représentant d’une conscience lacérée qui n’oublie pas qu’il appartient à une tradition différente mais, dans le même temps, «ne renonce pas aux avantages du pouvoir». Il est comme de nombreuses personnes aujourd’hui aussi: qui ont peur, malgré l’élan intérieur qui les appellent à défendre la vérité.

A lui aussi, et pas seulement au peuple – voici le personnage suivant – Elie adresse un puissant appel: «Jusqu'à quand clocherez-vous des deux jarrets?» C’est comme si, a rappelé le père Secondin, le prophète ordonnait aujourd’hui aussi, à eux et à tous: «Arrêtez cette mise en scène!»

Dès lors apparaît une réalité très dure: le peuple se tait, ne répond pas: «le système a tué sa conscience». Combien de fois, à présent encore, a commenté le prédicateur, «les régimes, les systèmes anéantissent les peuples», combien de fois demeurons-nous des «spectateurs apeurés» devant des guerres menées par procuration; et, pour rester dans le domaine de la vie religieuse, combien de fois nous laissons-nous fasciner par des «apparats grandioses, des cathédrales immenses, des complexes monumentaux», par une méthodologie qui se laisse guider par la gloire et oublie les pauvres.

Voilà alors qu’Elie convoque le peuple et l’invite à une ordalie, à l’épreuve du feu où se confrontera la présumée puissance de Baal avec celle du Seigneur d’Israël. Et le peuple est attiré par cette forme de “religiosité spectaculaire”, ce qui malheureusement arrive aussi aujourd’hui quand la foi «est mesurée par des statistiques» et se résume à des «manifestations où l’on ne sait pas si l’on est face à un happening ou à la vraie foi». Mais, a fait remarquer le carme, le geste du prophète qui «s’approche du peuple pour le faire participer» est important.

Un concept également repris dans la première méditation du mardi 24: «Avons-nous le courage d’interpeller le peuple, ou faisons-nous le tour des sept églises avant de l’interpeller?» Il s’agit donc d’un élément pour réfléchir sur certains choix de l’Eglise de notre temps: «Traitons-nous des choses importantes dans un cercle restreint ou savons-nous avoir une stratégie de visibilité qui dérange le système?» Que de souffrance, par exemple, «ont provoqué en nous certains thèmes sensibles», a dit père Secondin, qui a ajouté: «Nous ne devons pas cacher nos scandales» et il est important que «les victimes de l’injustice soient conduites à la guérison grâce à l’humilité de reconnaître nos erreurs».

La reconnaissance des fautes de l’Eglise est apparue également en référence à un autre épisode. En s'inspirant du geste terrible d’Elie qui fait exécuter les prophètes de Baal, le prédicateur a en effet invité à rappeler que l’Eglise au cours de son histoire a été capable d’actes violents. «Nous aussi nous avons brûlé des personnes, nous avons tué», a-t-il dit. Et il a souligné qu’aujourd’hui, tout autant de violence peut s'exprimer sous d’autres formes, «également sans l’épée», en utilisant par exemple la force explosive de la langue et même les nouveaux moyens de communication: «Parfois le clavier tue plus que l’épée!»

Il s’agit d’un des aspects que le carme a souligné pendant la journée où, poursuivant la lecture de l’épisode d’Elie, il a commencé à analyser une autre attitude nécessaire à la conversion: après le courage de sortir à découvert, de se dire la vérité sur soi-même, de jeter le masque qui anesthésie nos consciences, se présente la nécessité de se mettre en marche sur «des sentiers de liberté» et d’éliminer les attitudes qui font «osciller d’un côté et de l’autre» et de laisser place à Dieu.

En voyant comment Elie se moque du ritualisme violent et théâtral que le peuple d'Israël utilise pour invoquer Baal, le père Secondin a mentionné un certain genre de culte «bruyant, superstitieux» que l’on rencontre encore maintenant et qui «n’édifie pas la foi véritable». Quelles sont - s’est-il demandé - nos idoles? La liste est longue: «orgueil, ambition, culture, carrière». Mais, et il effectue là un pas en avant, nous ne pouvons pas douter de la miséricorde de Dieu. La réponse de Dieu est le feu, «la miséricorde qui assèche tout, qui transforme tout».

C’est pourquoi Elie reconstruit un autel avec les douze pierres qui rappellent les douze tribus d'Israël: il veut rappeler chacun à une identité. Et même si le peuple est réfractaire à revenir sur ses pas, cela ne fait pas peur à Dieu, car il «reste fidèle et disponible». Dieu est toujours «une étreinte de miséricorde». Et alors, a dit le prédicateur, il faut «prendre par la main le réveil de la conscience des gens», utiliser - comme Elie a été capable de le faire - des stratégies intelligentes et la force du langage des symboles. Mais pour faire cela, il faut tout d’abord se demander: «Notre cœur appartient-il réellement au Seigneur» ou nous contentons-nous d’attitudes extérieures? «Notre prière est-elle audacieuse et invoque-t-elle le bien du peuple?» Est-elle «rythmée par un sens ecclésial?» Ressentons-nous l’urgence de vivre des expériences fortes, extraordinaires, qui laissent leur trace, ou nous en contentons-nous?

L’Osservatore Romano

 

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