Une expérience audacieuse, mais prometteuse, inspirée des Etats-Unis, vient actuellement en aide aux personnes vivant à la rue en Belgique.
Depuis près d'un an et demi, une expérience originale se déroule discrètement dans les rues de Liège, Charleroi, Bruxelles, Gand et Anvers. Non pas que ses protagonistes agissent dans l'ombre, bien au contraire! Lancée par le Secrétariat fédéral à la Pauvreté, l'expérience est évaluée en permanence par une équipe de chercheurs en sciences sociales. Disons simplement qu'"Housing first" - le nom de cette initiative - ne change rien pour le moment au visage habituel des grandes villes. Mais qu'en cas de succès, elle pourrait, à terme, changer la vie de centaines ou de milliers de Sans domicile fixe (SDF). Pas n'importe lesquels: ceux qui souffrent depuis plusieurs mois d'assuétudes (alcool, drogues) et/ou d'une maladie mentale.
Tout le pari est là: fournir un logement à ce groupe bien particulier; et cela, dès le départ de leur processus de réinsertion, quasiment sans conditions. Sauf celles d'être motivé et de pouvoir subvenir au paiement du loyer (via leur revenu d'intégration ou une allocation). En soi, c'est une mini-révolution dans l'aide sociale. Car celle-ci, le plus souvent, n'envisage une mise en logement du SDF qu'après le passage d'une série d'étapes: avoir fait ses preuves dans un abri de jour ou une maison d'accueil, se montrer capable d'y respecter diverses contraintes liées à la vie en collectivité, etc. "Ce modèle classique, assez cloisonné (à chaque étape, un intervenant social différent), convient parfaitement à certains publics", explique Coralie Buxant, coordinatrice de Housing First Belgique. "Mais d'autres formules doivent le compléter Sans cela, les personnes très déracinées n'ont aucune chance d'aller jusqu'au stade du logement. Et, de là, de se remettre en projet".
Le début d'un processus
Le logement n'est pas une fin en soi. Il est, avant tout, un outil pour "se poser" et faire le point. Pour rassembler des forces pour la suite. Pour quitter définitivement cette vie à la rue qui n'est que stress, fatigue, rudesses et insécurités diverses: agressions, rivalités pour les lieux de manche, harcèlement policier, météo rigoureuse, dureté du regard social, etc. Si, de surcroît, une pathologie mentale s'y ajoute, le risque de décrochage définitif devient énorme. C'est la raison pour laquelle Housing First prévoit également l'accompagnement psycho-social rapproché de la personne logée, en collaboration avec le tissu associatif de chaque grande ville.
Un succès? "Moins de 5% des bénéficiaires refusent l'accompagnement psycho-social", se réjouit Coralie Buxant. "Après six mois de vie dans leur logement, la plupart des personnes ont pris en charge leur santé physique et mentale. Des problèmes graves restés non soignés pendant des années (diabète, troubles respiratoires chroniques, etc.) sont traités médicalement". Autre source de satisfaction à ce stade: la grande majorité des ex-SDF parvient à payer régulièrement son loyer, malgré le poids écrasant de celui-ci dans leur budget. C'est bon signe!
Appel aux propriétaires
Reste une question clé: la difficulté, dans nos grandes villes, de trouver des logements salubres à un prix supportable par ce type d'allocataire social. Les pouvoirs publics jouent globalement le jeu, via les sociétés de logements sociaux. Mais l'aide des particuliers reste indispensable. Et les préjugés ont la vie dure... Housing First a donc créé une fonction de "capteur de logement": des assistants sociaux sensibilisent les propriétaires de logements au "geste" d'humanité et d'engagement qu'ils peuvent faire envers les sans-abri en participant à ce projet pilote. De quoi faire penser aux récents propos du Pape, tenus lors de la Rencontre mondiale des mouvements populaires. François y disait sa lassitude d'être pris pour un "communiste" dès lors qu'il évoque les trois besoins élémentaires de l'homme pour vivre dignement: une terre, un emploi et... un toit.
Francis Demars
(c) Photo: www.housingfirstbelgium.be