Rien n’est plus opposé à l’ambiance actuelle du jour de Toussaint dans notre société que le climat de cette fête dans la liturgie. Tristesse et exultation. Brouillard et lumière. Regret du passé et espérance de l’avenir. Chrysanthèmes nostalgiques et joyeuse agitation des palmes. Odes funèbres et alléluias.
Non que les chrétiens ne soient pas meurtris par la disparition des êtres aimés. Non que leurs larmes ne coulent de leurs plaies jamais refermées. Car la mort n’est jamais banale : elle est l’ennemie implacable, la traîtresse sournoise, celle à laquelle on ne s’habitue jamais, celle qu’il faut combattre sans pitié. Mais le chrétien a l’audace de la narguer : « Ô mort, où est ta victoire ? » (1 Cor 15,55) et il sait qu’elle sera le dernier ennemi vaincu (1 Cor 15,26)
Les lectures du jour jettent une lueur sur notre destinée.
Comment espérer s’épanouir dans l’adoration universelle (1re lecture) et comment vivre en « enfants de Dieu »(2ème) ? En s’engageant sur le chemin des 8 béatitudes, programme inverse de celui proposé par une société qui cherche la consommation des choses au lieu de la «consommation », la plénitude des personnes. Les 4 paires pointent les 4 attitudes fondamentales à vivre.
L’humilité
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
La pauvreté n’est pas d’abord celle du portefeuille, elle est « du cœur », refus de l’orgueil, de la suffisance. Mais elle engage à la douceur c.à.d. au refus de la cupidité, de la rapacité pour avoir toujours plus. Car l’amour ne peut que partager donc s’appauvrir.
L’espérance
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Il ne s’agit pas des pleurnichards ni de ceux qui souffrent du deuil mais de ceux qui ne supportent pas l’état actuel des choses avec tant de haines, de désastres, d’affamés, d’injustices et qui ont faim d’une autre société régie par le droit où toute personne sera respectée, où éclatera la Louange à Dieu
Le cœur compatissant
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Le cœur simple est unifié par le double amour qui n’en fait qu’un : Tu aimeras Dieu de tout toi-même et tu aimeras ton prochain qui souffre, comme toi- même.
La volonté de paix
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
On ne crie pas à la paix, on ne l’installe pas d’un coup de baguette : on la bâtit, pierre par pierre. Sourire contre colère. Main ouverte contre poing fermé. Engagement contre résignation. Artisanat de génie.
Ce programme est tellement contraire à l’ordinaire qu’il sera toujours combattu par beaucoup. Le chrétien vit le paradoxe : pécheur, il ne doute pas de son Père ; attaqué il connaît le bonheur. Les béatitudes ne sont pas une utopie mais une prophétie, l’esquisse du monde à venir, le chemin par lequel nous pouvons devenir TOUS…SAINTS !
Raphaël Devillers o.p.