L’horreur. Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier le drame qui s’est déroulé ces derniers jours en Méditerranée. Des centaines de migrants y ont trouvé la mort. L’Europe va-t-elle enfin réagir?
C’est le naufrage le plus grave de ces dernières années en Méditerranée selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Au moins 500 personnes sont portées disparues depuis mercredi dernier, dans les eaux internationales à 300 milles nautiques (550 km) au sud-est de Malte. L’histoire est tragique. Deux Palestiniens de Gaza repêchés le 11 septembre par un porte-conteneurs italien après le naufrage ont rapporté à l’OIM qu'il y avait environ 500 personnes à bord et que les passeurs avaient volontairement provoqué le naufrage. Ils ont raconté être partis le 6 septembre de Damiette, en Egypte, avec environ 500 autres personnes - Syriens, Palestiniens, Egyptiens et Soudanais -, dont des familles avec enfants et des mineurs isolés. Pendant la traversée, les passeurs ont obligé les clandestins à changer plusieurs fois d’embarcation, mais quand ils leur ont demandé mercredi de sauter sur un nouveau bateau plus petit, les passagers se sont rebellés, toujours selon le récit des deux Palestiniens. Les passeurs, qui se trouvaient sur un autre bateau, auraient alors embouti la poupe de l’embarcation des migrants, qui a coulé, selon les deux témoins, sans préciser ce qui était arrivé au bateau des passeurs.
Un "homicide de masse" selon l’OIM
Le premier navire transportait 300 à 400 migrants et l’autre 30 personnes. Ce dernier, prenant vraisemblablement l'eau, a tenté de forcer le premier à s'arrêter, et tous deux ont coulé, selon ce récit rapporté par la marine maltaise. Le centre de secours en mer de Malte a dérouté plusieurs navires marchands dans la zone et coordonné les opérations de secours, en collaboration avec la marine italienne. Toujours selon la marine maltaise, sept autres personnes, toutes inconscientes et en état d’hypothermie, ont été secourues et transportées par hélicoptère en Crète, le lieu le plus proche. Un bébé est en revanche décédé pendant le transfert. La police grecque a fait état lundi soir de six survivants accueillis, dont une fillette de trois ans dans un état critique et un homme encore hospitalisé.
Les deux Palestiniens ont déclaré avoir passé plus d’une journée dans l'eau, survivant l'un grâce à un gilet de sauvetage, l'autre accroché à une bouée avec sept autres personnes, dont un enfant égyptien, qui ont toutes succombé à l'épuisement.
Les autorités italiennes ont ouvert une enquête. Si le récit des deux Palestiniens à l’OIM est confirmé, "il s’agirait du naufrage le plus grave de ces dernières années", et il ne s’agirait pas d'un accident mais d'un "homicide de masse", a dénoncé l’organisation.
Plus au sud, 36 personnes dont trois femmes ont été secourues dimanche par la marine libyenne à l’est de Tripoli. Selon la police libyenne, il y avait 200 personnes ou plus à bord de leur embarcation qui a coulé. Il faut savoir que la Libye est un pays de transit vers les côtes européennes pour de nombreux migrants essentiellement africains qui paient cher pour s’entasser dans des embarcations de fortune en espérant gagner Malte ou l'île italienne de Lampedusa. L’anarchie qui règne en Libye laisse, hélas, le champ libre aux passeurs qui ont multiplié les départs ces dernières semaines.
Dans le même temps, signe que les candidats au départ sont toujours plus nombreux, la marine italienne a rapporté lundi avoir secouru quelque 2.380 personnes au cours du week-end, dans le cadre du vaste programme "Mare Nostrum" mis en place après la mort de plus de 400 migrants dans deux naufrages en octobre.
Une mer qui se transforme en cimetière
Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 2.200 personnes ont péri ou ont été portées disparues en tentant de franchir la Méditerranée depuis juin. Au total, quelque 130.000 personnes sont arrivées en Europe par la mer depuis le 1er janvier, soit déjà plus de deux fois plus que pendant toute l’année 2013. Quelque 118.000 personnes ont été accueillies en Italie, pour la plupart secourues dans le cadre de "Mare Nostrum", qui doit prendre fin d’ici novembre, a précisé le HCR.
"Les dirigeants européens veulent à tout prix empêcher les gens d’atteindre l'Europe, forçant ces désespérés à prendre des voies plus périlleuses", a réagi Amnesty International, qualifiant de "honteuse" la réponse de l’UE aux crises du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.
De fait, il n’est plus permis de rester impassible face à ce drame humain que le pape François, qui s’était rendu sur l’île de Lampedusa en juillet 2013, a dénoncé à plusieurs reprises. Lorsque des gens sont en danger, il faut les aider. L’Europe ne peut bien sûr pas accueillir ces milliers de personnes, fuyant leur pays en guerre, à la recherche de la sécurité ou d’un avenir meilleur. Mais, elle ne peut devenir non plus une forteresse. Elle ne peut rester insensible et inactive face à ce que l’on doit qualifier de "génocide". La Méditerranée se transforme en cimetière, engloutissant la vie et les rêves de ceux qui ont l’espoir simple d’une vie plus digne.
Une collaboration indispensable
Pour cela, il faut mettre les moyens. Pas pour accueillir, mais pour prévenir. Il faut que s’installe une coopération d’abord entre les Etats membres de l’Union européenne. L’Italie et Malte ne peuvent agir seules. La solidarité intra-européenne doit jouer à fond. Mais il faut aussi que se mette en place une coopération entre l’UE et les gouvernements des pays dont sont originaires les migrants. D’abord sur le plan policier pour que les passeurs soient arrêtés et ne puissent continuer leur "business" florissant au mépris de la vie humaine. Ensuite, pour activer avec ces pays des plans de développement, pour que les ressortissants puissent avoir chez eux des conditions de vie normales. Et pour cela, il faut brandir l’arme des sanctions à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas les droits humains élémentaires.
Ne soyons pas naïfs. Certains gouvernements n’ont pas nécessairement la liberté d’agir, compte tenu du contexte difficile qu’ils vivent. Mais, l’important est d’abord de savoir s’ils en ont la volonté. Ainsi, l’Egypte n’a-t-elle pas les moyens de lutter contre ces passages de clandestins cherchant à rejoindre le Vieux Continent? Les pays du Maghreb ne peuvent-ils pas eux aussi veiller à mieux contrôler leur frontière méditerranéenne? L’Union européenne doit collaborer pour les aider, notamment afin que l’impunité ne soit plus possible pour les passeurs. Nos dirigeants dénoncent avec force - à juste titre - la situation en Irak, en Syrie, en Terre Sainte et en Ukraine. A quand une réaction vive sur ce qui se vit en Méditerranée? La voix du pape François semble bien seule…
En restant les bras croisés, l’Union européenne se fait complice d’assassinats.
J.J.D. (avec La Croix et Radio Vatican)