C’est aujourd’hui que les députés français doivent voter sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution. Vendredi dernier, ils avaient adopté la mesure-phare, et controversée, de cette loi qui prévoit de sanctionner les clients et d’abroger le délit de racolage. Mais le texte, inspiré par la législation suédoise, contient aussi des dispositions pour accompagner les personnes souhaitant sortir de la prostitution.
Après des semaines de polémiques et de divisions au sein de la classe politique et de l’opinion publique, la loi pour lutter contre la prostitution va donc être votée. Son aspect le plus spectaculaire, et sur lequel se sont focalisés les médias, est bien sûr la création d’une contravention de 5e catégorie (1.500 euros et 3.750 euros en cas de récidive) pour les clients ayant recours à la prostitution d’une personne majeure (le recours à une prostituée mineure, enceinte ou handicapée est déjà sanctionnée de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende). Peine pouvant être accompagnée par la participation à un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels; stage qui, à l’instar de ce qui se fait pour sensibiliser à la sécurité routière, est à la charge du client.
Changer le regard sur la prostitution
En sanctionnant ainsi le client, les promoteurs de cette loi entendent changer le regard sur la prostitution, et « répondre aux souffrances exprimées par les personnes prostituées ». Ils ont donc abrogé le délit de racolage passif (instauré en 2003 et passible de deux mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende) mais surtout prévu des mesures d’accompagnement social pour celles qui veulent quitter la prostitution. Sont notamment prévus:
– l’instauration d’un système de protection et d’assistance pour les victimes de proxénétisme, et la création d’un « parcours de sortie de la prostitution » via une association agréée, pour les victimes qui pourront bénéficier d’une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle.
– la création d’un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Le gouvernement s’est engagé à doter ce fonds de 20 millions d’euros.
– l’autorisation provisoire de séjour de six mois (et droit au travail) pour les prostituées étrangères victimes de proxénétisme et engagées dans un parcours de sortie de la prostitution sans qu’elles soient obligées de dénoncer leur réseaux.
– le renouvellement, jusqu’à la fin de la procédure judiciaire, du titre de séjour délivré pour les personnes prostituées qui témoignent ou portent plainte contre leur réseau de proxénétisme.
– l’octroi de places en centres d’hébergement pour les victimes de proxénétisme et de traite.
– l’ajout des prostituées à la liste des personnes vulnérables entraînant une aggravation des sanctions en cas de violences, d’agressions sexuelles ou de viols.
L’Eglise présente auprès des prostituées
Sur le terrain, ils sont nombreux, professionnels ou volontaires, qui n’ont pas attendu cette loi pour agir, en accompagnant au quotidien les personnes prostituées, et en les aidant à se réinsérer. Ces personnes espèrent, par leur action discrète, faire évoluer les mentalités et les comportements. Parmi elles, Soeur Vivianne Wagner de la congrégation des Soeurs de la Providence de St André du Peltre, près de Metz. Elle est engagée depuis 11 ans au Mouvement du Nid dont elle est la déléguée pour le département de la Moselle. Au micro de Radio Vatican, elle regrette que les médias se soient focalisés sur le client et aient laissé aussi peu de place pour se pencher sur les violences psychologiques qu’endurent les prostituées. Pour sœur Vivianne, l’objectif de cette loi c’est que, dans 20 ans, les nouvelles générations ne puissent plus concevoir d’acheter un acte sexuel.
De son côté, le père Jean-Philippe Chauveau, qui a fondé l’association Magdalena, et aide, avec quelques bénévoles, les personnes prostituées du bois de Boulogne, est très circonspect sur l’efficacité d’une telle loi. « On n’éduque pas en pénalisant… », argumente-t-il sur le site du magazine Famille Chrétienne. Selon lui, la première des choses à faire, c’est de lutter contre les réseaux et les mafias de la prostitution.
Risque d’une prostitution invisible
Ce projet de loi fait suite à une résolution, voté en décembre 2011 par les députés de tous bords politiques, réaffirmant « la position abolitionniste » adoptée par la France en 1960 et préconisant de pénaliser les clients de la prostitution.
Mais si l’idée de responsabiliser le client fait l’objet d’un rare consensus dans les rangs de l’Assemblée, les détracteurs de ce texte font remarquer qu’en Suède, où le client est sanctionné depuis 1999, la prostitution a quitté la rue pour se dérouler désormais sur Internet et devient du même coup invisible.
P.G.
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