Amnesty International, dans sa campagne de décembre 2012, dénonçait le recours aux enfants-soldats dans différentes zones du globe. Jusqu’en 2008, on estimait à leur nombre total à 300.000. Aujourd’hui, il est impossible de connaître avec exactitude l’étendue des forces dont les groupes armés disposent car ils évoluent dans l’illégalité.
Alors qu’ils n’ont pas l’âge de conduire ni de voter, des milliers d’enfants – filles et garçons – sont, encore aujourd’hui, envoyés en première ligne de combats que, souvent, ils ne comprennent pas. Ils sont recrutés par des groupes armés et transformés en chair à canon. Pions, cuisiniers, esclaves sexuels, soldats, le rôle que l’enfant peut jouer dans un groupe armé se décline de différentes manières. Mais une chose est sûre, alors que leurs bourreaux agissent très souvent en toute impunité, beaucoup de ces jeunes n’en sortent pas vivants.
Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International, dresse le portrait de ces enfants-soldats. (Un entretien que vous retrouvez en version audio au bas de cet article)
Ce sont souvent des enfants qui proviennent de villages, des enfants pauvres. La plupart d’entres eux sont recrutés de force, enlevés par des groupes armés ou par l’armée légitime. Parfois on massacre leur famille devant eux pour les obliger à suivre le groupe. Les enfants sont enrôlés très jeunes 6, 7 ou 8 ans car à cet âge là ils sont encore très malléables, on peut les former et les mouler dans ce rôle de combattant ‘prêt à tout’. La moitié de ces enfants-soldats sont des filles. Celles-ci subissent une violation des droits humains à un double niveau : on les oblige à combattre, mais en plus elles deviennent des esclaves sexuels pour les chefs de ces groupes armés avant d’être abandonnées quand elles deviennent plus âgées.
A quelles tâches sont-ils affectés ?
Au départ, on demande à ces enfants de porter les armes, une manière de les intégrer au groupe, on les bat pour qu’ils transportent les munitions, la nourriture et le matériel. On va également les utiliser comme éclaireurs, pour débusquer l’ennemi ou encore les utiliser comme détecteurs de mines.
L’Afrique est souvent associée aux images d’enfants-soldats, mais est-ce la seule région concernée ?
On a beaucoup parlé d’enfants-soldats au Congo, c’est vrai également dans d’autres conflits en Afrique, le Tchad en est un exemple, mais on les retrouve sur tous les continents : en Asie du Sud est ou en Colombie notamment. Il faut savoir que l’utilisation d’enfants-soldats était au départ quelque chose de très répandu dans le monde et même dans les armées européennes, notamment en Allemagne ou en Italie. Il y a un protocole facultatif des droits de l’enfant qui interdit l’enrôlement d’enfants dans les forces armées jusque 18 ans… un protocole d’ailleurs signé par le Congo !
Comment se fait-il que ces droits de l’enfant ne sont pas respectés ? Quel poids peut avoir Amnesty International sur les gouvernements pour faire respecter les droits de l’enfant ?
La convention des droits de l’enfant a apporté du bien-être mais il reste difficile de mesurer dans quelle proportion. Il y a toujours plusieurs centaines de milliers d’enfants dans le cas, en permanence ou pas. Chez Amnesty, on sait que lorsque l’on se tait, les violations les plus graves se déroulent. C’est pour cela que nous devons poursuivre nos campagnes pour mettre la pression sur nos gouvernements mais aussi sur les gouvernements congolais, tchadien ou colombien. Nos rapports sont d’ailleurs souvent au dessous de la réalité car nous tenons à vérifier les informations. Le crédit de notre organisation en dépend.
Vous soutenez également des associations de terrain ?
Amnesty soutient le BVES à Bukavu (Bureau de volontariat des enfants et de la santé), un centre qui a vu passer 60.000 enfants en quelques années. Le BVES intervient pour réinsérer les enfants démobilisés suite à des accords de cessez-le-feu. Mais la réinsertion ne fonctionne pas toujours, certains enfants retournent parfois dans les groupes armés car ils n’ont pas de moyens de subsistance ou parce qu’ils sont ré-enrôlés de force. Ce travail prend également beaucoup de temps : il faut souvent plusieurs mois pour désintoxiquer ces enfants drogués jusqu’aux yeux, pour ensuite chercher à les réintégrer dans leur communauté d’origine. Le responsable du BVES, Murhabazi Namegabe, qui négocie directement avec des chefs de groupes armés pour libérer les enfants mène cette action au péril de sa vie ; régulièrement menacé, il est obligé de changer de domicile chaque jour.
Propos recueillis par Manu Van Lier – photo: © Amnesty International