Combinaison de l'art et de la technique, le patrimoine campanaire - entendez le patrimoine se référant aux cloches, carillons et horloges monumentales – constitue un héritage fascinant, et cependant peu visible. En effet, c'est en levant les yeux au ciel ou en pénétrant dans les entrailles des clochers que l'on peut découvrir ces richesses insoupçonnées qui ont traversé le temps.
Roue de compte, cire perdue, manteau, foliot, saintier… Autant de termes bizarres et singuliers, peu utilisés encore de nos jours, mais qui pourtant font partie d'un patrimoine, tant local qu'universel, le patrimoine campanaire. Et c'est aux cloches que nous nous intéresserons en particulier; grâce à la rencontre avec un passionné, Philippe Slégers, le fils du dernier fondeur de cloches de Wallonie.
Entre guerre et paix
"Il faut savoir que cloches et canons sont intimement liés", explique Philippe Slégers. "Ceci est dû aux périodes de guerre et de paix qui balisent l'histoire de l'humanité. J'étais petit garçon quand la Seconde Guerre mondiale s'est terminée. Les Allemands nous avaient pris de 4.500 à 5.000 cloches qu'ils ont fondues pour en faire des canons. Après la guerre, à Tellin, dans la fonderie de mon père, on a refait des centaines et des centaines de cloches pendant une dizaine d'années et j'ai vraiment vécu des moments impressionnants: la fabrication, la coulée, la remontée des cloches dans les clochers avec cet accueil extraordinaire de la population qui acclamait les fondeurs. Ces gens avaient pleuré et cassé leurs cloches quand ils avaient dû les laisser partir pour l'Allemagne."
Assurément, les cloches attisent les passions. Depuis leur origine chinoise, jusqu'à leur entrée en occident grâce aux retours de croisades, elles ont traversé l'espace et le temps, en bouleversant les hommes. Parce qu'ils ont été en contact avec le monde oriental, les croisés rapportent en nos contrées la technique ancestrale de "la cire perdue" et la confient aux moines-fondeurs des monastères cisterciens. Dépassés par l'ampleur du travail, les religieux cèdent alors la fabrication des cloches au monde séculier. Les plus belles cloches connues datent du XIIe et du XIIIe siècle; elles viennent enrichir les plus belles cathédrales.
Une seule mission, sonner
La fonction première d'une cloche est d'appeler les fidèles aux offices. Mais la cloche était aussi un formidable moyen de communication. Avec une portée de 3 à 5 km, à l'époque où il n'y avait ni téléphone, ni radio, ni télévision, la cloche dardait ses informations à tous, via certaines modulations de frappes. "Elles sont présentes aussi pour les grands événements", poursuit Philippe Slégers. "Quand le roi Baudouin est mort, toutes les cloches de Belgique ont sonné. Et pour le nouveau pape François, c'est dans toute l'Italie qu'elles ont été entendues. Si on remonte au Moyen Age, les cloches sonnaient à l'ouverture et à la fermeture des portes de la cité ou quand le collecteur d'impôts arrivait. Remarquez qu'il y a donc deux types de cloches, les religieuses et les civiles."
Quelque chose en elle… d'humain
Saviez-vous qu'une cloche est baptisée ? Qu'elle a un parrain et une marraine et qu'elle porte un prénom ? Qu'elle "raconte" l'histoire locale par une iconographie qui lui colle à la peau ? On peut même parler de l'âme d'une cloche ! Philippe Slégers ne nous dira pas le contraire. Et il va encore plus loin: "Une cloche, c'est quelqu'un qui vibre; que vous entendez à votre baptême et qui sonne aussi à votre mort. A Ath, par exemple, quand on sonne cette grosse cloche, la Julienne, les gens s'arrêtent pour laisser parler quelqu'un qu'ils connaissent bien, qui fait partie de leur communauté."
Repères profondément ancrés dans l'inconscient collectif, le patrimoine campanaire n'en a pas encore fini avec nous. Avec le regain d'intérêt pour l'écoute des carillons, avec l'installation récente de nouvelles cloches à Paris ou, plus près de chez nous, à Chevetogne, ce patrimoine continuera encore longtemps à matérialiser le temps qui passe, à nous renseigner sur ce qui nous entoure et à égayer notre quotidien.
Sylviane Bigaré
photo: la collégiale de Nivelles (c) Cédric De Keyser
Ecoutez l'entièreté de l'interview de Philippe Slégers dans l'émission "Il était une foi" du dimanche 31/3 à 19h05 sur La Première (RTBF).