L’orangerie du Château de Seneffe, un lieu de prestige pour une exposition autour d’un art dit « modeste », car hors normes. Vingt-six artistes, pour la plupart atteints d’une déficience intellectuelle, racontent en peintures ou en sculptures des fragments de leur vie, des moments tissés dans la toile du quotidien…
L’idée d’une Triennale de l’Art hors normes en Belgique vient de Willy Taminiaux, président de l’Association Francophone d’Aide aux Handicapés Mentaux (AFrAHM). Exposer les productions d’artistes « différents » et contribuer à la reconnaissance de leur art, était audacieux, et dans la pure ligne des résolutions de l’AFrAHM: « Ensemble, avec audace et respect, construisons l’inclusion ».
S’il y a effectivement inclusion, il y a également du talent et une inventivité touchante dans les œuvres de ces outsiders… « Pour certains critiques, c’est de l’art hors normes, pour d’autre c’est de l’art outside, de l’art différencié, en marge. Pour moi, ce qui compte, c’est de savoir que c’est un style plus puissant que la pratique académique, puisqu’il libère et valorise », affirme Willy Taminiaux.
Dans cette seconde édition de la Triennale, le fil rouge de l’exposition s’ébauche autour de l’environnement des artistes et de leur sphère intime. Des toiles, mais aussi des œuvres en trois dimensions, proviennent des quatre coins de l’Europe, et même d’ailleurs.
Originalité et authenticité
« Pour réaliser cette exhibition, je suis partie de l’authenticité des artistes et de l’originalité de leurs œuvres », explique Mélanie Papia, commissaire de l’exposition Reflets de VIES. « Par la richesse des détails et de l’imagination, une scène quotidienne, presque banale, se transforme devant moi en une scène étonnante de singularité ». La jeune commissaire avoue en souriant tout le plaisir qu’elle a eu à organiser une telle exposition. « Que l’œuvre dévoile l’intimité d’un instant ou décrive un acte coutumier, chacun de nous se reconnait dans ces scènes, comme autant de reflets de vies… », ajoute la blonde Mélanie, émue.
Une émotion qu’elle a réussi à transmettre dans l’agencement de « Reflets de VIES ». La grande salle de l’Orangerie du château de Seneffe est devenue, pour un temps, un lieu d’échange, un espace où sont célébrés des instants de vie.
Au détour du labyrinthe d’œuvres hors normes, un petit bout de femme regarde attentivement une peinture faite de pastels gras, d’écoline et d’encre de Chine. « Les canadiens qui se réchauffent ». Haute comme trois pommes, Danièle Lemaire a 73 ans et a du mal à quitter son bébé, sa création. Fille d’artiste, elle est handicapée mentale. Une tare pour certain, un atout dans son art… « Elle n’a pas peur de mal faire, elle a moins d’inhibition qu’un autre artiste », explique Pascale Vlaemminck, animatrice aux ateliers du 94, situés près de la Louvière. Danièle suit ces ateliers assidûment et ne quitte pas son amie Pascale d’une semelle. »Ce qu’elle a dans la tête, elle le met sur toile, tel quel. Elle dessine les personnes qu’elle connait et d’autres qu’elle voit dans des films. Elle a un contact très fort avec ses créations: Elle les embrasse, elle les engueule », continue Pascale.
L’étrange petite artiste sourit de toutes ses dents. « Travailler et dessiner beaucoup, c’est mon paradis », articule-t-elle. Aujourd’hui, Danièle vend en masse, et partout, comme à Bordeaux par exemple, ou même outre-Atlantique, à Chicago. « Son style n’appartient qu’à elle. Ce n’est pas de l’art hors normes, c’est de l’art tout court ». Pascale est fière d’elle. La série colorée « Empreintes familières » attire les premiers badauds de cette seconde Triennale.
Des reflets de vies d’artistes à part entière.
Anne LECONTE
Jusqu’au 9 mars. Orangerie du Château de Seneffe. Entrée: de 3 à 5€. Info: www.chateaudeseneffe.be
photo: une oeuvre de Luiz Figweiredo( © Collection De Stadshof. Musée Dr Guislain, Gand)