Dans le fourmillement d’une ville qui les rejette, huit enfants en mal de musique se battent au quotidien pour, un jour, se produire sur scène. Une fresque bouleversante de Kinshasa-la-galère.
Comment appeler un film qui n’est ni une vraie fiction, ni un documentaire? Son réalisateur, Marc-Henri Wajnberg, le qualifie de « transgenre ». Un terme qui ne rend pas suffisamment compte de la nature percutante et dérangeante de l’œuvre en question. Son transgenre, donc, décrit la vie d’un groupe d’adolescents de Kinshasa, la capitale congolaise. Pas n’importe lesquels: des shégués, c’est-à-dire des enfants accusés d’attirer le mauvais sort sur leur famille et, à ce titre, condamnés à l’abandon et à l’errance dans la ville.
Le film commence par un bref volet pleinement documentaire. La caméra virevolte en pleine assemblée de désenvoûtement. Le spectateur est plongé dans ce tournis de cris, d’imprécations et de regards terrorisés sous l’autorité d’un prêtre à mi-chemin entre Dieu et les mauvais esprits. Un des enfants n’en peut plus et prend la poudre d’escampette. Le récit bascule aussitôt. On suit alors, pas à pas, huit de ces shégués dans le fourmillement déjanté – rude, violent, mais aussi marqué par la débrouillardise, la ténacité, voire la joie de vivre – d’une ville où rien ne semble fonctionner comme il devrait. Le petit groupe rêve de monter un groupe de rap et, avec l’aide d’un musicien adulte bohème mais bienveillant, figure paternelle providentielle, s’accroche à cet espoir comme à un radeau en pleine tempête.
Repérés puis sélectionnés parmi les enfants de la rue à Kinshasa, ces acteurs jouent leur propre vécu avec une justesse étonnante. On saisit bien vite que la fiction n’est qu’un moyen de rendre à merveille la réalité du chaos de cette ville – embouteillages, bagarres, prostitution, corruption… – et la lutte quotidienne des shégués pour se nourrir ou dormir dans une sécurité très précaire. Selon le réalisateur, près de 25.000 enfants vivraient ainsi dans la seule capitale de RDC, parias de la société et bannis leur propre famille.
Musique omniprésente
La musique est omniprésente dans Kinshasa Kids. On y croise brièvement Papa Wemba, l’une des plus grandes stars de la musique congolaise. La projection de Kinshasa Kids à Bruxelles, en avant-première à Bozar, a été saluée d’une ovation émue. Marc-Henri Wajnberg y a expliqué avoir connu de multiples accidents pendant le tournage: il a été arrêté par la police, enlevé, tabassé. Pas de quoi lui ôter son coup de foudre pour cette mégapole et pour ses habitants. « J’ai rencontré là-bas plein de gens magnifiques et porteurs d’une énergie énorme, désireux de s’en sortir à tout prix ».
Les jeunes acteurs principaux ne se connaissaient pas au départ. Ils ont vécu ensemble quelque temps et suivi des cours en préparation du tournage. Après celui-ci, le réalisateur et son équipe ont noué des contacts avec des associations kinoises pour tenter de les faire (re)fréquenter l’école, voire pour tenter de retisser le lien avec leur famille. Difficile, car une partie de l’argent destinée à cette fin a été détournée. D’autres solutions sont en cours de recherche, a précisé le réalisateur. Rachel Mwanza, quant à elle, la jeune fille qui tient l’un des rôles les plus touchants, a ensuite décroché, dans un film canadien (War Witch), un rôle qui lui a valu une récompense au festival de Berlin. Nul doute que l’ovation de Bozar était aussi pour elle. Et pour toutes les autres victimes d’une ville aussi attendrissante qu’impitoyable.
Francis Demars
«Kinshasa» Kids, de Marc-Henri Wajnberg, avec José Mawanda, Rachel Mwanza, Bebson Elemba, etc. 1h25.