L'hiver dernier est un film belge à l'affiche actuellement dans nos salles. La beauté des images et les questions soulevées emmènent tout naturellement le spectateur vers la contemplation et la réflexion. Un film qui trouve sa place en cette semaine sainte. Ci-dessous, une mise en bouche signée Alain Arnould, aumônier des artistes.
S’il fallait caractériser le premier long-métrage de John Shank, les qualificatifs d’audace et de beauté viendraient sans doute à l’esprit. Audace du cinéaste belgo américain qui nous plonge dans la dureté d’un monde rural désemparé par le monde contemporain et qui déploie une grande sobriété au diapason du monde austère qu’il évoque. Audace de Johann, le jeune agriculteur et personnage central du film interprété avec justesse par Vincent Rottiers, qui seul contre un monde se débat pour conserver la culture ancestrale de sa ferme dans une solitude que personne ne peut venir percer. Beauté des prises de vues témoignant de l’émerveillement de Shank pour l’environnement de l’Aubrac, de ses habitants et de son bétail de salerses. Les close-ups des regards, tant des humains que des bovins nous font découvrir la beauté dans les détails, alors que les vastes panoramas du Massif Central invitent à regarder au-delà de ce qui est visible. La fascination de Shank pour la lumière donne à ce film des élans caravagesques. Sondage en profondeur aussi de la psychologie des caractères des personnages. Leur rudesse n’empêche pas la tendresse d’un regard, d’un geste ou d’une attitude jalonnant ainsi le film de poignants moments lyriques. Rien n’est superficiel ou laissé au hasard.
Mais les termes d’audace et de beauté ne pourraient suffire pour décrire ce film inclassable. Pendant 143 minutes, John Shank interrompt notre vie frénétique pour nous inviter à un rythme de contemplation et de réflexion. La tragédie de Johann ne connaît que peu de rebondissements. L’importance du film n’est pas dans l’action, mais dans le cheminement de cet éleveur, qui n’a rien d’un José Bové. Et parfois le chemin est au moins aussi important que la destination.
Il faut recevoir ce film plutôt que le voir. Les thématiques qu’il effleure sont multiples. Lors de l’enterrement du marchand de bétail retentit le Et in terra pax hominibus bonae voluntatis du Gloria de Vivaldi, cette hymne à l’incarnation. C’est bien la question de la place de l’homme dans la création qui est abordée ici. Et quand Johann se fait interpeller Pourquoi ne laisses-tu pas le monde aller à son rythme ?, c’est la question de notre résistance et de notre idéalisme qui se présente. La pesante tristesse de l’histoire n’empêche pas l’espérance de pointer le nez. En fin de film, Johann, même seul et accablé par ses échecs, trouve encore des forces pour poursuivre son chemin. Et deux enfants qui ont suivi Johann dans son combat scrutent les horizons. Dans leur regard se lit une volonté de reprendre le flambeau. Malgré les capacités sociales extrêmement limitées de Johann, son idéal est transmis à une nouvelle génération. Voilà donc pourquoi le récit de Johann conte son hiver dernier et non son dernier hiver.
L’Hiver Dernier. Réalisateur : John Shank. Acteurs : Vincent Rottiers, Anaïs Demoustier, Florence Loiret-Caille, Michel Subor, Aurore Clément, Carlo Brandt et Théo Laborie.
Alain Arnould OP