A travers une brochure d’une cinquantaine de pages, l’Église de Belgique montre clairement qu’elle a tiré les leçons de la crise qui a secoué son institution après les révélations en cascade d’abus sexuels qui ont suivi l’affaire Vangheluwe. Après un temps de consultation d’experts, l’heure est à de nouvelles mesures.
Après la reconnaissance de sa responsabilité morale au printemps dernier et son accord pour participer à la procédure d’arbitrage qui a été présentée juste avant Noël, l’Église de Belgique vient de publier une brochure intitulée « Une souffrance cachée – Pour une approche globale des abus sexuels dans l’Eglise ». Reconnaissant ses manquements, son silence inapproprié, elle a choisi d’élaborer ce document en se laissant guider par ce que lui ont appris les victimes.
Avec cette brochure, l’Église a donc choisi expressément de se placer aux côtés de ces dernières. « Notre premier objectif est de venir en aide aux victimes » a ainsi déclaré Mgr Harpigny lors de la conférence de presse du 12 janvier, en prenant soin d’ajouter aussitôt que « le premier lieu pour les aider, c’est la Justice de notre pays. »
Les intentions sont limpides et le texte utilise des mots forts: « rompre le silence », « ne pas laisser les abuseurs en paix ». Avec la nécessité de reconnaître et de réparer, et de renforcer la vigilance, ce sont les lignes de force d’un nouveau plan d’action que les autorités ecclésiales ont mis sur pied avec l’aide d’un groupe d’experts de diverses disciplines (médecine, psychologie, justice, assistance sociale…). Pour les victimes, trois chemins de reconnaissance et de réparation sont désormais envisageables (voir ci-dessous).
Mea culpa
Cette initiative succède ainsi, en en gardant l’esprit, à ce qu’avait entrepris la Commission interdiocésaine présidée par le professeur Adriaenssens jusqu’aux perquisitions de juin 2010 qui ont vu près de 500 dossiers de victimes recueillis par cette commission être saisis par le juge De Troy. Mais elle est plus ambitieuse, mieux encadrée, et les points de contacts sont beaucoup plus nombreux. Le fonctionnement de ces derniers sera supervisé par une Commission interdiocésaine pour la protection des enfants et des jeunes qui sera opérationnelle en juillet 2012. Tout à fait différente de la Commission Adriaenssens, cette structure, composée d’experts académiques de diverses disciplines et impliquant des victimes d’abus, émettra aussi des propositions d’action préventive à la Conférence épiscopale, suivra les initiatives prises dans d’autres pays et produira un rapport annuel.
Un site internet ( www.abusdansleglise.be ) a par ailleurs été activé sur lequel on peut trouver les différentes adresses utiles.
En encourageant les victimes à libérer leur parole, l’Église libère également la sienne. « Nous avons été parfois trop prudents », a reconnu Mgr Harpigny qui, en homme d’Église, la voix quelque peu étranglée par l’émotion, conclura par un nouveau mea culpa: « Nous avons à reconnaître que des choses graves, tout à fait en contradiction avec l’Evangile, ont été commises, et dans la tradition chrétienne, quand c’est comme ça, on demande pardon. »
Pierre GRANIER
Trois voies de reconnaissance pour les victimes
– Les points de contact
Dix points de contacts (un par diocèse, plus deux pour les congrégations et ordres religieux francophones et néerlandophones) sont d’ores et déjà opérationnels. Le premier rôle de ce point de contact est d’inciter et d’aider la victime à signaler les faits la Justice. S’il l’estime nécessaire (risque de danger grave et imminent), il peut même le faire malgré l’opposition de la victime, quitte à ne pas communiquer son nom.
Mais c’est aussi un lieu de reconnaissance du statut de victime et d’orientation (par exemple vers une aide psychologique extérieure) pour les victimes, dans lequel peuvent s’organiser des entretiens avec un supérieur religieux voire avec l’abuseur. L’aide est gratuite, confidentielle et accessible également à un témoin, à une personne ayant eu connaissance d’abus sexuels ou de comportement transgressif dans le cadre d’une relation pastorale, mais également à l’abuseur. L’accueil y est assuré par une équipe multidisciplinaire (médecin, psychologue, juriste, assistant social…).
– La médiation réparatrice
Cette formule s’adresse aux victimes qui ne veulent pas passer par un point de contact mis en place par l’Église. Elles doivent alors contacter une asbl (Médiante pour les francophones) qui offre l’assistance d’un tiers « neutre » afin de faciliter et accompagner la communication entre la victime et l’abuseur présumé ou l’autorité ecclésiale. Cette médiation peut déboucher sur une indemnisation financière de la part de l’abuseur.
– L’arbitrage
Il s’agit là d’une procédure spéciale de compensation financière mise sur pied à la demande de la Commission parlementaire spéciale quand les faits sont prescrits. Elle permet une reconnaissance de la souffrance des victimes via l’allocation d’une indemnisation forfaitaire décidée par un collège arbitral de trois personnes choisies par les parties. Ce tribunal arbitral devrait siéger dès le mois de mars. Les demandes doivent être introduites pour le 31 octobre 2012 au plus tard.