Alors que le régime syrien est critiqué de toutes parts pour la répression sanglante de son opposition, le président syrien Bachar el-Assad a reçu, la semaine dernière, l’appui inattendu du patriarche maronite du Liban, Mgr Béchara Raï. A Paris, celui qui est aussi président de l’Assemblée des patriarches et évêques catholiques d’Orient, a demandé que l’on donne une chance au président Assad. Au Liban, la polémique fait désormais rage.
Le patriarche maronite libanais craint que les révolutions en cours dans le monde arabe ne portent préjudice aux chrétiens du Moyen-Orient et n’amènent les Frères musulmans au pouvoir. « Les chrétiens en paieraient le prix fort« , a-t-il laissé entendre, suscitant la polémique en justifiant les armes du parti chiite « Hezbollah » et en parlant de la présence des réfugiés palestiniens au Liban.
Au retour de son voyage en France, le patriarche a déclaré à la presse avoir porté « les appréhensions et préoccupations exprimées lors de la réunion, au Vatican, du synode pour les Eglises catholiques d’Orient d’octobre dernier (…) Ce sont les préoccupations des chrétiens non pas seulement au Liban, mais dans tout le Machrek et le Moyen-Orient arabe, en Egypte, en Palestine, en Syrie, en Irak, en Jordanie et en Terre sainte« .
Crainte d’un régime fondamentalisme
Le patriarche a précisé que les forces armées syriennes sont attaquées par des groupes bien entraînés, bien armés et organisés. Il craint que la situation en Syrie ne dégénère en une guerre civile entre alaouites et sunnites, ou entre sunnites et chiites. Une guerre qui pourrait déboucher sur une partition du pays et l’instauration possible d’un régime fondamentaliste. « Dans ce cas, les chrétiens feront inévitablement les frais de ce conflit. Ils fuiront le pays ou seront poussés à l’exode« , a-t-il déclaré à la presse.
Dans les colonnes du quotidien francophone « L’Orient-Le Jour », la journaliste Scarlett Haddad explique que « nul ne peut oublier le fait que le nombre de chrétiens dans la région se réduit, suite aux exactions israéliennes en Palestine et à l’incapacité des troupes américaines à protéger les chrétiens d’Irak. Le patriarche Raï aurait voulu ainsi exprimer surtout la grande crainte des chrétiens du Liban et des pays voisins qui ont peur d’être contraints à l’exode, sans qu’aucune force ne soit en mesure de les protéger, face à la montée des fanatismes« .
Dans les colonnes de ce même journal, d’autres voix contestent cependant le fait que le régime baassiste en place à Damas pourrait être une garantie pour les chrétiens de Syrie et du Liban, et qu’une victoire de la révolution syrienne risquerait de porter préjudice à ces mêmes chrétiens.
Depuis les dernières élections parlementaires de 2005, le Liban est déchirée entre deux mouvements: celui du « 8 Mars », coalition pro-iranienne et prosyrienne (comprenant les chiites du Hezbollah et les partis Amal, Parti National Social Syrien) avec le Mouvement patriotique libre chrétien (FPM), face au mouvement du « 14 Mars », une coalition anti-syrienne composée du parti chrétien Phalange et Forces libanaises (LF), des Druzes du Parti socialiste progressiste (PSP) et du groupe sunnite Future Movement.
Suite aux déclarations du patriarche maronite, le « 8 Mars » exulte et le « 14 Mars » fulmine, tout comme nombre de centristes ou d’indépendants, note le quotidien « L’Orient-Le Jour ». Qui ajoute que l’affaire envenime le climat ambiant et exacerbe le clivage entre les deux camps.
Contre la ligne libaniste
Les Etats-Unis et la France ont condamné sans ambages les propos de Mgr Raï en faveur du régime syrien, qu’ils sanctionnent, et de l’armement du Hezbollah, qu’ils qualifient de terroriste.
Au Liban, relève Philippe Abi-Akl, l’opposition juge que le patriarche tourne brusquement le dos aux constantes nationales que Bkerké (siège du patriarcat maronite) a toujours défendues. « Il s’inscrit contre la ligne libaniste, pour laquelle son prédécesseur, Mgr Sfeir, s’est battu« . Le patriarche actuel, tout en rejetant la violence « d’où qu’elle vienne » et en soulignant que l’Eglise n’appuyait aucun régime politique, a estimé qu’ »en Orient, nous ne pouvons pas transformer facilement les dictatures en démocraties. Les problèmes de l’Orient doivent être résolus en respectant la mentalité de la contrée« .
Le patriarche maronite a considéré que l’armement du Hezbollah restait légitime tant qu’Israël occupe des terres libanaises et tant qu’il y a des Palestiniens armés, dans l’attente de leur retour dans leur pays. Mgr Béchara Raï relève qu’une portion de territoire libanais continue d’être occupée par Israël, qui détourne les richesses hydrauliques du Liban, et qu’un demi-million de Palestiniens réside au Liban, faute d’une application par Israël de la résolution 194 de l’ONU.
Apic