« Habemus papam », actuellement en salles, raconte l’histoire d’un cardinal français, Mgr Melville (Michel Piccoli) qui, à peine élu pape, renonce à sa charge sous le poids du doute et malgré l’aide d’un psychanalyste. S’il n’est en aucun cas anticlérical, le film de Nanni Moretti n’a pas séduit la rédaction dans son ensemble, comme en témoignent ces regards croisés.
La stupeur, sans les tremblements
Dès les premières images, le spectateur pénètre dans le saint des saints, en suivant les délibérations traditionnellement secrètes du concile. Si le décorum est figé et l’atmosphère feutrée, les visages des cardinaux ne le sont pas. L’indécision de leur choix souligne la difficulté de la fonction à pourvoir. À l’annonce de sa sélection par ses pairs, le visage du cardinal Melville (Michel Piccoli) est envahi par l’étonnement, le contentement, et très vite ses traits trahissent la crainte devant l’énormité de la tâche qui l’attend.
Humaniser la figure du pape
Oui, un pape peut être submergé par ses sentiments. Oui, un pape est un homme de chair, habité par des doutes et des sentiments contradictoires. Au contentement des premiers instants, très vite succède l’angoisse. Un cri apeuré clôt la cérémonie d’investiture, et la fuite des pas remplace la bénédiction attendue. S’il ne met pas en doute sa foi, le nouveau pape n’en est pas moins tétanisé, au point d’être immobilisé dans une indécision léthargique.
Pour faire rebondir l’intrigue, le cinéaste Nanni Moretti imagine alors de recourir aux bons soins de la psychanalyse. La première séance en présence de l’ensemble des cardinaux est particulièrement drôle. On imagine aisément le carcan imposé au psychanalyste, qui est prié d’éviter les sujets scabreux. Objet de l’attention de ses pairs, le regard de Michel Piccoli exprime la bonté d’un homme réservé, surpris et désolé de décevoir l’attente des fidèles – un million, dit-on.
La face cachée d’un homme
Cet abattement soudain, qui accable le cardinal Melville, le rend touchant. Il voudrait, mais ne peut. La dépression l’habite tout entier, en maîtresse impitoyable. Que certaines scènes ressemblent à des caricatures – on songe au tournoi des Cinq nations qui met en scène les cardinaux, au garde suisse qui s’empiffre de pâtisseries dans les appartements pontificaux ou au ballet des cardinaux qui traquent le nouvel élu dans un théâtre –, certes. Mais au-delà des excès de la narration, ce film montre la face cachée d’un homme emporté par une angoisse immémoriale. Si la fin est décevante, elle est probablement inévitable dans un tel schéma d’annihilation de la volonté.
« Habemus papam » n’est évidemment pas comparable à « Des hommes et des dieux ». Nulle question de recueillement dans ce film, mais plutôt la face cachée d’une institution et d’une fonction papale, moins autoritaire qu’il n’y paraît…
Angélique TASIAUX
L’angoisse au pouvoir
Caricature de la Curie vaticane, le film de Nanni Moretti, s’il fait rire, frôle à certains moments le grotesque. Les aspects qui touchent à l’angoisse sont terriblement humains. Pourquoi les ramener à des scènes tellement ennuyeuses? Car on s’ennuie dans cette fiction qui ne décolle pas. On reste à la surface des choses. En dehors de la responsabilité d’un candidat pape devant son destin à l’heure de l’élection, les vraies questions ne sont pas exploitées.
Que percevront les chrétiens à la vision du film? Reconnaîtront-ils leur Église dans cette image très inexacte, voire irrespectueuse de la réalité ecclésiale? En dehors des clichés et des gags, on reste sur sa faim: là où on attendait un pape psychologiquement touchant par son humanité, on se trouve face à un Piccoli vieillissant, sans l’once d’une épaisseur psychologique, si ce n’est physique. Ses frasques buissonnières dans Rome ne sont même pas drôles. Des pistes auraient sans doute gagné à être exploitées avec plus de profondeur comme la voie psychanalytique, mais ce n’est pas le « déficit de parentalité » qui convaincra les spectateurs. Pourtant l’angoisse et le pouvoir auraient pu toucher si l’investigation avait été plus aboutie.
Ni un pamphlet féroce ni une comédie iconoclaste, mais une déambulation superficielle, et ennuyeuse qui effleure son sujet et en joue comme le chat avec la souris.
Bernadette LENNERTS