Les représentants de l’Ordre des médecins mais aussi ceux des centres des personnes handicapés et des centres PMS se sont succédé devant les membres de la Commission "Abus" lors de la séance du 15 mars.
A l’occasion de leur audition, les représentants de l’Ordre des médecins n’ont présenté ni chiffres ni statistiques fiables en matière d’abus sexuels de la part d’un praticien sur un patient. Et leurs explications quant aux sanctions que pouvait infliger leur instance professionnelle en cas de plainte d'un patient ont créé plus de confusion qu’autre chose auprès des commissaires qui s’étonnaient que l’Ordre, ou plus précisément son conseil provincial, ne puisse prendre des mesures préventives ou suspensives à l’égard de médecins suspectés déviants. "Nous avons moins de pouvoirs sur les médecins qu'un évêque n'en a sur les prêtres de son diocèse", a confirmé le président de l’Ordre, le Dr Holsters, rappelant qu’en droit, on est toujours présumé innocent…. Toutes mesures provisoires contre des médecins soupçonnés d’abus sexuels ne peuvent donc être décidées que si les faits sont établis, et tout appel est suspensif… La seule possibilité d'agir reviendrait à la Commission médicale provinciale (structure qui ne dépend pas de l'Ordre) qui peut retirer le visa pour pratiquer l’art de guérir, durant 2 ou 3 mois.
Difficile secret professionnel
Concernant le secret professionnel, le Dr Deneyer a expliqué qu’en cas de suspicion de mauvais traitements, le médecin pouvait alerter un service créé à cette fin ("SOS enfants" par exemple), mais que s’il constatait que son patient était en danger sérieux et qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour le protéger, il avait le droit (mais pas l'obligation) de dénoncer au Parquet, en vertu de l’article 458 bis du code pénal.
Dans la réalité, c’est moins beaucoup moins simple. Une enquête auprès des pédiatres (à laquelle un praticien sur cinq a répondu) fait d’ailleurs apparaître que 30% des médecins ne savent pas vraiment ce qu’il faut faire. Ils seraient même seulement 13% à dénoncer auprès du Parquet après avoir constaté des problèmes de maltraitance.
Pour mieux déceler les problèmes de maltraitance, les médecins suggèrent différentes pistes comme pouvoir entendre un enfant séparément de ses parents, ou exiger qu’à chaque consultation d’un spécialiste un rapport soit transmis au médecin référent. De même, un médecin de garde à l’hôpital devrait pouvoir accéder au dossier du patient.
Abus et handicap
Avec les auditions des dirigeants des agences pour l’intégration des personnes handicapées, les commissaires ont pu entendre tous les efforts déployés, depuis une dizaine d’années, par les centres pour handicapés, afin de prévenir au mieux les cas d’abus sexuels qui y étaient malheureusement assez nombreux. Aux dires de ces responsables, toutes les mesures prises dans le cadre de politique volontariste misant sur la formation, des audits, des conditions d’agrément renforcées, ont rapidement porté leur fruit et le nombre de plaintes a aujourd’hui quasiment disparu. Entre 2005 et 2010, seulement 5 cas de suspicion de viol de la part d’un éducateur et 8 de la part d'un résident ont été recensés en Wallonie. Une statistique aussi basse reflète-t-elle vraiment la réalité ? Mme Baudine, administratrice générale de l’AWIPH (Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées) est plutôt confiante dans ces chiffres. Mais elle souligne cependant la difficulté pour les personnes intellectuellement déficientes d’établir une frontière entre la vie affective et le début de l’abus sexuel.
Ce problème de "décodage" sera confirmé un peu plus tard par Mme Fabienne Cornet, du service PHARE (Personne handicapée autonomie recherchée) en faisant part d’une enquête européenne qui montrait que 90% des établissements spécialisés dans l’accueil d’handicapés avaient eu connaissance de cas d’abus sexuel (tous cas de figures confondus), alors que les demandes d’aide ou les plaintes sont très peu nombreuses. "Il existe des différences d’interprétation de l’acte abusif", a expliqué Mme Cornet en mentionnant le cas d’une véritable relation affective entre un membre du personnel et un déficient mental qui avait été dénoncée par un centre. Mais le point positif est que le débat sur la vie affective et sexuelle des personnes handicapés n'est plus tabou dans ces centres. "Des déficients ignoraient qu'ils étaient victimes d'abus sexuels car ils ne savaient pas qu'ils avaient le droit de refuser", a ajouté Mme Cornet.
Déculpabiliser les victimes
Pour terminer cette journée d'audition, la parole fut ensuite donnée aux représentants, francophone et flamand, des centres PMS (Psycho-médico-social). Président du Conseil supérieur des centres PMS en Communauté française, M. Boudrenghien a indiqué, mais sans statistiques à l'appui, qu'il y avait peu de cas d'abus sexuels dans les écoles (en précisant qu'aucune situation n'avait été signalée dans les congrégations religieuses depuis des années) mais que lorsque cela arrive, les plaintes sont plus fréquemment déposées. "C'est bien davantage dans le cadre intrafamilial que ce problème se pose", a-t-il ajouté "mais aussi de plus en plus dans des groupes de jeunes, avec le phénomène de l'enfant-martyr".
M. Boudrenghien a bien insisté pour que l'on apporte une pleine attention aux enfants victimes afin qu'ils se sentent protégés et qu'ils se défassent du sentiment de culpabilité qu'ils développent toujours, malgré eux. Et pour qu'un travail de prévention soit effectué à tous les niveaux. Il a aussi profité de la tribune pour rappeler que les enseignants n'étaient pas liés par un quelconque secret professionnel, contrairement aux agents des centres PMS. A l'instar des médecins, ces derniers n'ont en effet pas d'obligation de dénoncer auprès du Parquet. "La transmission automatique n'est pas une bonne idée", a ainsi expliqué pour sa part le représentant des centres PMS en Flandre. "Il faut faire une pondération, consulter en équipe puis avec les centres de confidence. Mais si l'abus est manifeste, alors il faut réagir immédiatement et si l'école ne le fait pas, nous saisissons le Parquet à sa place."
Pierre GRANIER