Le 16 mars dernier, les membres de la commission spéciale sur les abus sexuels ont mené leurs dernières auditions. Ceux-ci se sont montrés particulièrement acerbes avec les représentants du monde sportif, pointant notamment leur absence d'implication dans ce dossier. En effet, aucune de leurs structures n'a comptabilisé de manière centrale le nombre de plaintes ou de signalements d'abus.
Les bancs de la Commission spéciale relative au traitement d'abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d'autorité, en particulier au sein de l'Eglise, étaient particulièrement clairsemés le 16 mars dernier. Dommage, car ces dernières auditions ne manquaient pas d'intérêt. Etaient effectivement entendus, ce jour-là, les représentants des organisations de jeunesse et du monde sportif, deux secteurs de la société particulièrement concernés par cette problématique. Certes, leurs propos ont suscité des réactions parfois acerbes de la part des quelques députés présents, mais ils auraient certainement mérité davantage de pugnacité de leur part.
Annick Hoornaert, présidente de la Commission consultative des organisations de jeunesse, a commencé par décrire la structure pour laquelle elle travaille. Celle-ci regroupe 92 organisations de jeunesse, aux projets parfois très différents, ce qui ne facilite apparemment pas toujours le travail de coordination. Mais c'est surtout en tant que chargée des relations extérieures de l'asbl "Les Scouts" qu'elle s'est exprimé, n'ayant apparemment été prévenue que très récemment qu'elle allait être auditionnée par la Commission Lalieux. Elle a tout d'abord tenu à rappeler que pour les scouts et les guides, il n'est pas question de se substituer à la Justice. "Un animateur ne peut rien entreprendre seul et nous ne pouvons enquêter nous-mêmes. C'est un métier spécifique et nous ne sommes pas formés pour ça", a-t-elle expliqué. Si l'organisation fait tout ce qu'elle peut pour soutenir et assister les victimes, elle ne se porte jamais partie civile en cas de problèmes. "C'est aux victimes et aux familles de le faire", explique-t-elle.
Quand un cas d'abus se présente ou qu'il y a présomption d'abus chez un animateur, les responsables d'unité sont invités à se mettre directement en contact avec les équipes "SOS Enfants", mises en place en 1985 par la Communautés française dans le but de prévenir et de traiter les situations de maltraitance. "Ces professionnels commencent par travailler avec la victime et sa famille afin de voir s'il est opportun ou non de déposer plainte", a expliqué Annick Hoornaert. L’animateur, quant à lui, est suspendu le temps que la justice fasse son travail. "Ce n'est pas une sanction, mais une mesure de sécurité", précise-t-elle. "Cette suspension est levée ou maintenue, une fois que la Justice s'est prononcée."
Pas de chiffres précis
Deuxième personne à être auditionnée ce jour-là, Barbara Poppe, la représentante du "Vlaamse Jeugdraad" (Conseil de la jeunesse flamande), a ensuite expliqué comment cela se passe du côté néerlandophone. Il est difficile pour elle d'évaluer l'ampleur du phénomène, car elle ne dispose d'aucun chiffre. Aucune étude scientifique n'a été menée sur ce sujet et il n'y a pas de système d'enregistrement des plaintes. Certes, il arrive que cela se produise, mais c'est plutôt sporadique, a-t-elle reconnu.
"Quand il y a une plainte, celle-ci est toujours traitée au plus haut niveau de l'organisation", a-t-elle expliqué. "Un accompagnement extérieur est proposé à la victime mais aussi au groupe auquel il appartient, ainsi qu'à l'auteur des faits." Le problème, c'est que les chefs locaux sont souvent jeunes et ont tendance à prendre eux-mêmes les choses en main. Or, ce n'est pas facile pour eux de savoir ce qu'il faut faire. "L'auteur des faits est souvent un membre du groupe et un ami. Du coup, le groupe ne sait pas trop comment gérer cette situation, il se demande ce qu'il aurait pu faire pour éviter cela, s'il n'aurait pas dû agir plus tôt, etc." Barbara Poppe pointe deux problèmes dans le traitement des plaintes : le manque de communication et d'information de la part des services de police (les groupes sont laissés sans nouvelles) et la difficulté de trouver la structure d'assistance appropriée. Une question se pose également très souvent dans ce genre de situation : "À partir de quand un comportement peut-il être qualifié de déviant ? Il s'agit de plus très souvent de présomption d'abus. Quelle attitude adopter alors dans ce cas ? En outre, la pression extérieure est de plus en plus importante, surtout de la part des parents. Ce sont des questions difficiles à gérer pour les jeunes chefs."
Jan van Santvoet, collaborateur auprès des scouts et guides de Flandre, a ensuite pris la parole, mais très brièvement, car il souscrivait totalement au témoignage de sa consoeur flamande. "Nous avons eu peur qu'il y ait un afflux de plaintes", a-t-il juste précisé, "mais cela ne s'est pas produit. Nous ne pouvons donc pas dire qu'il y a un lien entre mouvements de jeunesse et abus sexuels". Il s'est également plaint du manque de communication et de feed-back de la part de la police.
Des parlementaires indignés
Si les parlementaires n'ont pratiquement pas posé de questions aux représentants des organisations de jeunesse, ils ont par contre été particulièrement attentifs à ce qui s'est dit dans la deuxième partie de l'après-midi. Etaient effectivement auditionnés Cyriel Coomans et Thierry Zintz, vice-présidents du Conseil d'administration du Comité olympique et interfédéral belge (COIB), René Hamaite, directeur général du sport en Communauté française (anciennement ADEPS), et Jord Vandenhoudt, collaborateur politique au service du "Team Medisch Verantwoord Sporten" du Département Culture, Jeunesse, Sport et Média de la Communauté flamande.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ceux-ci n'ont pas vraiment convaincus les représentants du monde sportif. Certes, Thierry Zintz a reconnu que son secteur n'était probablement pas épargné par le phénomène des abus sexuels, mais qu'à titre personnel, il n'était au courant de rien. Aucun d'entre eux n'avait d'ailleurs de chiffres à fournir quant aux nombre de plaintes ou de signalements d'abus sexuels sur mineurs, ce qui a provoqué l'indignation de plusieurs députés. Pour eux, c'est d' autant plus choquant qu'un entraîneur vient d'être condamné à trois ans de prison et que 37 mois ont été requis contre un autre pour une série de faits sur mineurs. Les responsables du monde sportif se sont défendus en déclarant qu'ils étaient généralement les derniers à être informés de ce genre d'affaires. "Nous ne sommes pas le réceptacle premier des plaintes", a déclaré René Hamaite. En 35 ans de carrière, celui-ci n'a d'ailleurs été informé que de trois cas d'abus sexuels.
Un manque de volonté
Le directeur général du sport en Communauté française a également décrit les différentes mesures qui sont prises pour éviter ce genre de problèmes (obligation de présenter un certificats de bonne vie et mœurs, interdiction d'aller dans les vestiaires du sexe opposé…), mais celles-ci ne sont d'application que pour les activités qui dépendent directement de son organisation. Plusieurs députés ont suggéré que les entraîneurs ne puissent être engagés que sur présentation d'un certificat de bonne vie et mœurs, mais Cyriel Commans s'est montré très réticent à cette idée. Pour lui, cette mesure est pratiquement inapplicable, vu le nombre considérable d'entraîneurs en Belgique et la très grande mobilité de ceux-ci. Il craint également que cela ne décourage les bénévoles. Pour Siegfried Bracke (N-VA), il est clair que le monde sportif n'a pas bien compris l'urgence qu'il y a d'agir dans ce domaine. Un constat que partage Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen!), pour qui la volonté d'agir n'est peut-être pas suffisante.
Karine Lalieux a conclu cette dernière séance en remerciant les parlementaires et les journalistes pour leur travail et leur patience. (CtB/PA)