Grande et belle fresque historique, l’expo « Entre paradis et enfer » vaut autant par sa scénographie et les trésors qui y sont exposés que par son côté didactique sur le sujet. Elle met en lumière 1000 ans de mort, d’inhumation, de deuil et de souvenir. Un parcours à ne pas manquer!
C’est une bien célèbre dépouille qui « accueille » le visiteur: celle du comte d’Egmont, qui fut décapité sur la Grand-Place de Bruxelles. La voici pour la première fois sortie de la crypte de l’église de Zottegem, signe que le musée du Cinquantenaire a voulu marquer le coup avec cette remarquable exposition qui nous propose un passionnant parcours sur l’art de vivre la mort au Moyen Âge, plus précisément entre le VIe et XVIe siècle.
Derrière cet oxymoron, une sélection de 200 objets et œuvres d’art vous fera donc découvrir comment nos ancêtres composaient avec « La Grande Faucheuse ». À l’époque, la mort était omniprésente et certainement pas le sujet tabou qu’elle est devenue aujourd’hui. Elle n’était donc pas forcément ressentie avec fatalisme et résignation mais faisait véritablement partie intégrante de la vie et constituait même un maillon clef de la cohésion sociale. Du coup, elle a donné lieu à une profusion de représentations artistiques.
Des mourants très entourés
Après une brève présentation du contexte démographique, sanitaire et médical, l’expo s’intéresse en premier lieu aux différentes causes de mort auxquels se trouvaient confrontés nos ancêtres, dont l’espérance de vie ne dépassait pas 40 ans en moyenne. Via des livres anciens, des armes ou des instruments de torture, des sculptures (une superbe enseigne d’apothicaire), des peintures (comme « La tentation de Saint-Antoine », un extraordinaire tableau signé Pieter Huys) sont évoqués la malnutrition, le manque de soins et la mauvaise hygiène de vie, les épidémies, les guerres…
Cette première mise en contexte passée, place à l’accompagnement des mourants et aux rituels funéraires. Une chambre du mourant a été reconstituée. À proximité, on peut y voir deux portraits mortuaires, une pratique à la mode dans la Flandre du XVIe. Sont également expliqués les différences de « traitement » entre les riches et les pauvres, le sort réservé aux parias (les juifs, les suicidés, les enfants non baptisés ne pouvaient être enterrés au cimetière), les raisons et les techniques de l’embaumement. Les coutumes funéraires respectaient généralement de près les préceptes chrétiens et il n’y avait donc pas de dépôt funéraire. Mais la découverte de tombe mérovingienne datant du haut Moyen Âge a démontré que certaines traditions funéraires plus anciennes ont cohabité, pendant un certain temps, avec ces nouvelles pratiques chrétiennes qui ne s’arrêtaient pas aux funérailles mais se poursuivaient longtemps après avec, par exemple, les messes anniversaires, surtout pratiquées à partir du XIIe.
Dogme chrétien illustré
Dans une troisième partie, le visiteur aborde la « topographie » de la mort, à travers les sépultures, les sarcophages, les épitaphes, les dalles funéraires (ou, plus luxueuses, les lames en laiton), les gisants… Respectant son fil rouge, l’expo met en évidence l’aspiration de l’homme à conserver son statut social et spirituel après sa mort. Là encore, tous les morts ne sont pas égaux. Les plus riches pouvaient revendiquer d’être enterrés dans un édifice religieux.
Et pour finir, l’exposition propose une illustration du dogme chrétien de la résurrection. Voilà sans doute la partie la plus enrichissante. On y découvre notamment un « ars moriendi » (art de mourir) rédigé par un moine dominicain du XIVe. Cet ouvrage, qui fait partie des premiers livres imprimés, peut être considéré comme un mode d’emploi pour guider les fidèles vers le Salut grâce à des réflexions sur la mort et des oraisons à réciter en diverses occasions. Il connut un grand succès. Dans un registre similaire, le visiteur s’étonnera aussi de toute une série d’objets ou de documents graphiques très expressifs, appelés « Memento mori ». Ceux-ci rappellent aux croyants que l’existence ici-bas est brève et qu’il faut songer à préparer son Salut. Conçus pour frapper les esprits, ils symbolisaient tout le contraire du Carpe Diem!
Pierre GRANIER
Jusqu’au 24 avril, au Musée du Cinquantenaire, à Bruxelles
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h – Prix : 10 euros