Voici un film tout indiqué pour débuter l’année! Et pas seulement à cause de son titre. « Another year » est un beau concentré d’humanité qui se découvre au fil des saisons.
Le cinéma de Mike Leigh (Palme d’or à Cannes 1996 pour « Secrets et Mensonges ») se caractérise par son intérêt pour les éclopés, voire les révoltés de la vie. C’est encore en partie vrai dans son dernier film – déjà à l’affiche depuis quelques semaines – qui s’ouvre sur une consultation à l’hôpital où une patiente confie, les mâchoires serrées, qu’elle a « une vie de merde ». Mais ce registre sombre s’estompe bien vite au profit d’une belle éclaircie qui nous conduit dans la vie heureuse de Gerri et Tom.
Ces deux là forment un couple heureux, serein, équilibré, sage. Ils ont chacun une bonne situation (elle est psychologue en hôpital, lui est ingénieur géologue) et habitent une maison coquette, avec un joli jardin. Ils passent aussi beaucoup de temps à cultiver leurs légumes bio dans leur potager à l’extérieur de la ville. Dans ce monde harmonieux, apparaît régulièrement Joe, un fils affectueux, doté d’un bel humour. Ses parents le taquinent un peu sur son célibat persistant mais à part cela, vraiment rien à lui reprocher non plus: il est avocat et défend les sans-papiers. Bref pas l’ombre d’un défaut!
Autour d’eux en revanche, gravitent des âmes esseulées, qui sonnent à leur porte pour chercher un peu de chaleur humaine. On y verra Ted, un vieux copain de Tom qui fait toujours ses blagues de potache sur le parcours de golf et mange gloutonnement. Puis Ronnie, le frère de Tom, veuf insensible venu passer quelques jours après l’enterrement de sa femme, et dont on mesure le délabrement psychique à l’extrême pauvreté de ses réponses.
Et puis il y a surtout Mary – personnage principal inavoué de ce film -, une collègue de travail de Gerri. Mary qui noie sa solitude et son angoisse dans les verres de vin et dans un flot de paroles. Mary avec son rêve de petite voiture rouge qui tournera au cauchemar. Mary pot-de-colle mais si attachante. Mary enfin qui se berce d’illusions en testant son charme auprès du fils de la famille sur lequel elle fantasme quelque peu, en lui demandant: « Quel âge tu me donnes? ». Pour tous ces personnages dans la bonne cinquantaine, Tom et Gerri (même le film n’a pas résisté à cette mise en boîte!) sont donc cet oasis de réconfort à laquelle ils viennent boire.
Bonheur et égoïsme
Dans cette chronique du temps qui passe au rythme des saisons, jalonnée d’une naissance, d’une mort, et de fiançailles, on rit et sourit d’abord de bon cœur. Même si l’optimisme du printemps et de l’été est toujours un peu tempéré. Mais à mesure qu’approchent l’automne et l’hiver et que file la vie, « Another Year » devient plus grave. On comprend alors que dans la recette du bonheur de Gerri et Tom il y a aussi une pincée d’égoïsme, et peut-être même une pointe de condescendance dans l’amitié qui les relie aux autres. Ce bonheur ne se partage pas aussi facilement. Quand la vertu s’épuise, l’agacement prend le dessus. À moins que ce bonheur ne se nourrisse justement du malheur des autres…
Et ces autres justement, jusqu’où peut-on les aider ? Mary ne se montre-t-elle pas tout aussi égoïste en abusant de l’hospitalité pour rechercher toujours davantage d’affection? A-t-on vraiment envie de la réconforter quand son immaturité la rend hostile et jalouse vis-à-vis de la sympathique Katie, la future fiancée de Joe? Elle s’en excusera auprès de Gerri qui ne s’en émeut qu’avec un flegme tout britannique, bien tiède à la réflexion.
Sous une apparence de simplicité, ce beau et grand film, nous montre ainsi, encore une fois, que rien n’est noir ou blanc. En proposant une fin « ouverte », il semble même nous dire qu’en matière de relation à l’autre, tout le monde a des problèmes, même la plus heureuse des psychologues, et que le blanc peut en définitive s’avérer bien noir.
Pierre GRANIER