Jean-Paul Ier : 33 jours de pontificat… et autant de théories du complot !


Partager
Jean-Paul Ier : 33 jours de pontificat… et autant de théories du complot !
L’infarctus de Jean-Paul Ier cachait-il un assassinat ? La mort soudaine du Pape, après 33 jours de pontificat seulement, a en tout cas suscité nombre de rumeurs... © Domaine public
Par Clément Laloyaux
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
5 min

En 2022, nous consacrions la série d'été de Dimanche aux complots et conspirations autour de la religion. Certaines thèses controversées, voire loufoques, concernaient la papauté. Hier, vous avez pu lire la légende de la papesse Jeanne. Place aujourd'hui aux théories du complot entourant la mort soudaine de Jean-Paul Ier...

S’il y a une thèse dans la religion qui peut se targuer de remplir toutes les cases de la théorie du complot, c’est bien celle de l’assassinat de Jean-Paul Ier. Afin de comprendre pourquoi, remontons un peu dans le temps, jusqu’à cette fameuse date du 28 septembre 1978.

Nous sommes un jeudi. Il est sept heures du matin. Alors que le soleil tarde à se lever sur la Cité du Vatican, le tumulte lointain d’une Rome qui se réveille commence à gagner le Saint-Siège. Mais étrangement, à la cacophonie symphonique de la capitale italienne se mêlent petit à petit des sons de cloches épars qui, très vite, s’emparent de tout Rome. L’on peut alors distinguer un tintement lent, reconnaissable entre mille: le glas, sonnerie annonciatrice de la mort d’une grande figure.

Décédé après 33 jours de pontificat

Dans les rues, beaucoup croient à la mort de Sandro Pertini, président de la République en exercice. Pourtant, c’est bien le nouveau pape, Jean-Paul Ier, nommé il y a 33 jours à peine, qui vient subitement de décéder. A l’état de surprise succèdent la perplexité, puis le temps des interrogations. Quelle est la cause du décès? Est-ce criminel? Comment un pape peut-il rendre l’âme après seulement un mois de pontificat? Dieu a-t-il voulu adresser un message particulier à l’Eglise?" La Curie n’en a que faire de ce marasme de rumeurs et supputations en tout genre. 

Tout le monde est mobilisé du côté du palais apostolique. Car ce matin, à cinq heures moins le quart, la sœur Vincenza a découvert Albino Luciani, qu’elle sert depuis 1959, inanimé dans son lit. Il est cinq heures lorsque le cardinal Villot, secrétaire d’état et chef de la Curie papale, pénètre dans la chambre et constate le décès du pape. A cet instant, le Français est automatiquement promu "camerlingue" et investi par intérim des pouvoirs suprêmes du Vatican, comme le veut la procédure. Dans un troisième temps, un médecin procède à un bref examen du pape et conclut aussitôt à un infarctus. Une crise cardiaque fatale qui serait intervenue aux environs de 23 heures la veille. 

Le double jeu du cardinal Villot

Si le déroulé des opérations semble respecter un protocole bien huilé et ordonné, l’historien et spécialiste du renseignement, Yvonnick Denoël va pointer plusieurs incohérences et éléments troubles. Par exemple, avant l’arrivée du médecin, le cardinal Villot fait vite disparaitre des documents appartenant à Jean-Paul Ier:"Villot empoche les notes du défunt, ses médicaments, ses lunettes et le testament rangé dans son cabinet de travail. Il se retire ensuite pour passer divers coups de fil". Pour notre expert, ce n’est pas la seule incohérence entourant la figure de Jean-Marie Villot. A cinq heures, une voiture commandée par le Vatican se présente devant le domicile de deux embaumeurs afin de les conduire auprès du corps du défunt. Mais, comme le note Yvonnick Denoël, il y a un hic au niveau de la chronologie: "La voiture a été commandée alors que le cardinal Villot n’avait pas encore constaté le décès." Le secrétaire d’état du Vatican a-t-il grillé certaines étapes sous le coup du stress ou souhaitait-il volontairement précipiter l’embaumement du défunt pape? Coïncidence ou non, d’après notre historien, le cardinal Villot va également convaincre les cardinaux présents à Rome de renoncer à l’autopsie du corps. Selon sa version, on pourrait y découvrir que le pape a pris par erreur une dose excessive de son médicament, "ce qui risque de nourrir le fantasme d’un empoisonnement". Or, on sait que c’est cette absence d’autopsie qui alimente encore aujourd’hui la majeure partie des théories du complot autour de l’assassinat d’Albino Luciani.

Esprit critique

Après avoir parcouru tous les éléments à charge cités ci-dessus, on aurait presque envie de croire à un assassinat de Jean-Paul Ier. Et, dans le même temps, de clouer au pilori le cardinal Villot pour son implication et son double jeu.

C’est là que notre esprit critique doit prendre le dessus. Ce n’est pas parce que des témoignages de l’époque nous affirment que quelque chose s’est passé ainsi que ça a forcément été le cas. Ainsi, la révélation rapportée ci-dessus, que les deux embaumeurs auraient été prévenus de la mort du pape avant le constat du décès, ne serait en fait que le fruit d’une erreur, commise dans l’affolement, par un journaliste de l’agence de presse italienne Ansa. De plus, les lunettes soi-disant dérobées par le cardinal Villot, auraient en vérité été récupérées par Pia, la demi-soeur d’Albino Luciani.

Dans son essai intitulé La mort de Jean-Paul Ier, l’historien Bernard Lecomte explique que l’excitation journalistique qui règne au Vatican à cette période-là va être responsable de la propagation de nombreuses fake news et rumeurs loufoques sur la mort de Jean Paul Ier: "Un parfum de scandale se répand, propagé par les insinuations de la presse italienne relayées par les médias du monde entier: quels mystères inavouables cache cette mort subite?"

Des thèses mises à mal

Même si l’opinion publique se plaît à imaginer le brave "pape au sourire", que personne ne connaissait avant son investiture, défiant jusqu’à la mort la mafia, la CIA, la finance, les communistes, les cardinaux corrompus, les franc-maçons, les anti-réformistes au sein de la Curie romaine… – ce sont réellement les mythes qui circulent autour de sa mort –, de plus en plus de thèses conspirationnistes sont mises en échec par les recherches récentes.

En atteste le livre Pape Jean-Paul Ier, chronique d’une mort de Stefania Falasca, dans lequel elle entend proposer une étude sérieuse sur le pontificat-éclair du 262e successeur de Pierre, et tordre le cou, par la même occasion, aux multiples rumeurs de complots qui entourent sa mort.

La documentation clinique rapportée par la journaliste italienne et vice-postulatrice de la cause en béatification d’Albino Luciani ne laisse aucune place au doute: "Le Pape Jean-Paul Ier est bel et bien mort d’un infarctus, conséquence d’une cardiopathie ischémique." Pas sûr, pour autant, que cela réussisse à clore définitivement le débat…

Clément LALOYAUX

A voir et à lire à ce sujet :

> The Pope Must Die, film anglais de Peter Richardson, 1991.

> La mort de Jean Paul Ier, livre de Bernard Lecomte, Perrin, 2015.

> Petite vie de Jean-Paul Ier, livre de Christophe Henning, Petite Vie, 2021.

Catégorie : Vatican

Dans la même catégorie