A lire : le récit de Jeanne Benameur pour installer l’écriture au coeur de nos vies


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A lire : le récit de Jeanne Benameur pour installer l’écriture au coeur de nos vies
Pour écrire, il faut se donner du temps. © Adobe Stock
Par Christel VISÉE
Publié le - Modifié le
4 min

Dans son dernier ouvrage, Jeanne Benameur nous partage son expérience des ateliers d’écriture, qu’elle anime depuis les années 1980. L’occasion de faire le récit d’une démarche de longue patience et d’humanité. Et d’en transmettre les étapes, pour que chacun puisse ensuite se l’approprier…

Ce livre est un cadeau. De ces cadeaux précieux qui nous touchent en plein cœur par leur rare justesse. Jeanne Benameur, connue pour son écriture fine et poétique, nous livre ici une démarche patiemment mûrie depuis les années 1980. Bien au-delà d’une description méthodique ou des illusions de la publication, son récit se veut généreuse transmission.

“Je crois au verbe. A sa puissance à nous transformer. Je crois à la silencieuse insurrection du mot juste. La venue du souffle au mot. Ecrire.” C’est par cette déclaration fervente que celle qui reconnaît être “une femme de foi sans église et sans dogme” commence son ouvrage. Et cette foi en une écriture ouverte à tous et qui nous humanise habite chaque mot, chaque histoire et chaque étape de son livre.

Une démarche en quatre étapes

La première chose que découvre Jeanne Benameur, en entamant sa pratique d’ateliers, est l’importance du temps, de la patience, de ne pas brûler les étapes. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent lieu, elle se rend compte qu’il est prématuré de partager au groupe un texte tout juste écrit. Il faut se donner le temps de rester le "scripteur" de ce texte, la personne qui est en train de l’écrire, avant de pouvoir en devenir "l’auteur".

L’écrivaine tisse ainsi une démarche en quatre étapes. L’Inscription, où l’écriture vient s’enraciner dans ce qui existe déjà. Le Journal de bord, où on décrit simplement ce que perçoivent nos sens. La Correspondance, où l’écriture peut alors s’adresser à un autre. Et enfin le Texte-histoire, où elle s’élargit encore à d’autres inconnus.

L’Inscription: s’enraciner

Sa première étape, Jeanne Benameur la doit à une femme qu’elle voit tracer des lettres dans un journal. Elle écrit sur ce qui est déjà écrit. Cet acte primitif d’"inscription", d’"écrire dans", permet, face aux inquiétudes de divers élèves ou adultes dont l’écrivaine est témoin, un enracinement et une désacralisation de l’écriture. Elle propose ainsi de choisir une feuille de journal, éphémère par nature, puis d’y inscrire un seul mot, comme on le désire. L’animateur peut aussi inviter le groupe à écrire sur un tissu, du sable, ou lui conter une histoire. On s’ancre dans la langue de façon différente.

Le Journal de bord: regarder le monde

Enraciné et bien droit, on peut alors, grâce au "journal de bord", regarder le monde. Sentir, goûter, écouter et décrire ce monde vivant et prolixe. Apprendre par l’écriture à y être humblement présent, en s’en tenant au je, à l’indicatif, aux phrases simples. Si possible en sortant pour s’imprégner de la façon dont chacun porte son sac, ou des odeurs et sons d’un marché. On regarde aussi son texte pour expérimenter: changer de personne, de ponctuation, de mode… On apprend à lui donner "forme juste".

La Correspondance: écrire à un autre

Après cet ancrage dans la réalité par des écrits à soi-même, on peut aborder l’autre rive: celle de l’écriture pour autrui. Dans la "correspondance", on passe du je au tu. On écrit une vraie lettre, pas un mail ou un SMS, celle qu’on aurait rêvé d’adresser à quelqu’un qu’on connaît bien, ou à un personnage fictif. On peut aussi travailler à deux, avec une lettre et une réponse. On apprend ici à tenir compte de l’autre dans l’écriture, et on entre peu à peu dans la fiction…

Le Texte-histoire: écrire à d’autres inconnus

La dernière étape nous plonge dans la fiction. C’est le temps d’utiliser tout ce que la langue permet, d’explorer notre capacité à écrire des textes qui pourront être lus par des inconnus. Dans un long temps d’écriture d’une heure minimum, chacun peut ainsi imaginer une marche dans la forêt avec Poucet, ou le retournement de la femme de Loth. On peut aussi inviter un artiste, pour redécouvrir la démarche.
Tout est ouvert. "Ou pas", comme le répète souvent Jeanne Benameur, profondément respectueuse de la liberté de chacun. L’ouvrage se termine par quelques questions éthiques, notamment sur la juste place de la personne qui anime. Un petit bijou à lire et relire. Une foi à transmettre. A travers l’écriture?

Christel VISÉE

Jeanne Benameur, Vers l’écriture. Récit de transmission, Actes Sud, 2025.

Catégorie : Culture

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