Prenons-nous le temps de parler aux réfugiés croisés dans nos rues pour comprendre leur désir d’une existence plus humaine? Pas assez sans doute. Une immersion dans un centre d’accueil peut aider à les comprendre et partager, un temps, leur quotidien.
"Comment crois-tu qu’ils sont venus? Ils sont venus les poches vides et les mains nues", chantait Charles Aznavour dans Les émigrants.
En 2023, d’après la Croix-Rouge, quelque 35.000 réfugiés ont introduit une demande d’asile en Belgique, avant d’être hébergés dans un centre d’accueil. S’immerger dans leur vie quotidienne peut apporter un éclairage bienvenu et mettre à mal certains clichés.
Directeur-adjoint du centre de la Croix-Rouge de Tournai, Ludovic Dumont a ouvert pour Dimanche les portes de ce lieu d’hébergement, l’un des 28 installés en Wallonie et à Bruxelles. L’occasion idéale pour rendre également hommage au travail d’accompagnement mené par les équipes de la Croix-Rouge.
Promiscuité et tolérance
Ouvert depuis 2015, le centre de Tournai accueille 750 places, occupées en permanence. Une caserne gérée par 80 équivalents temps plein pour accompagner une population composée à 60% d’hommes seuls, dont beaucoup de jeunes (18 à 25 ans), mais aussi de nombreuses familles et des mineurs étrangers non accompagnés (MENA). Ces réfugiés viennent d’Afghanistan, de Palestine, du Burundi, de Syrie, de la RD Congo ou d’Erythrée, pour ne citer que quelques-unes des dizaines de nationalités présentes. "Autant de communautés qui arrivent à vivre ensemble", souligne Ludovic Dumont. "On vit très peu de situations graves comme certains peuvent l’imaginer. Malgré la promiscuité dans les chambres, le respect et la tolérance existent. Il y a bien des soucis de temps en temps, mais comme ceux vécus à l’extérieur."
Le gros problème rencontré par le personnel réside surtout dans la gestion des états de détresse psychologique vécus après des parcours difficiles. "Notre rôle consiste à accompagner ces personnes pour les rassurer et les aider à se stabiliser", reprend le directeur-adjoint. Un réfugié peut rester au centre durant toute la durée de sa demande d’asile, avec une moyenne d’environ 15 mois. Mais certains résidents peuvent rester jusqu’à 3 ou 4 ans, en fonction de leurs dossiers et/ou des recours. Un permis de travail est octroyé après 4 mois et de nombreux résidents travaillent dans la région pour se constituer une cagnotte afin d’assurer leur avenir ou d’aider leurs familles restées au pays.
Un quotidien rythmé par la vie de caserne
Les lieux d’accueil à Tournai sont prêtés par l’armée, à charge pour la Croix-Rouge de les entretenir. Comme une caserne n’a pas vocation première à servir de cadre de vie pour des civils, la Croix-Rouge a prévu différentes cellules pour rendre la vie plus agréable aux hôtes. Un cinéma, un salon de coiffure, une cuisine collective, une cantine, un secrétariat… sont ainsi mis à leur disposition. Une vaste salle de rencontre leur permet d’oublier la promiscuité des chambres. Des femmes et des hommes s’y croisent, pour regarder la télévision, boire un café ou un thé. Ou pour être juste ensemble.
Un élément présent dans le paysage surprend le visiteur: cette barrière métallique installée pour séparer la partie encore occupée par l’armée de celle dédiée aux réfugiés. Le terrain de basket ne connaîtra sans doute jamais de rencontres sportives communes…
Tout aussi surprenante est la diversité des lieux de vie répartis partout au cœur de la caserne. Des chambres dans les bâtiments en dur pour les plus chanceux, des conteneurs en extérieur ou des tentes montées dans un hangar pour les autres. Mais avec la même promiscuité pour tous. Avec un lit et une armoire pour ranger des affaires personnelles qui tiennent dans un sac. Entre deux explications, le directeur-adjoint se voit sans cesse sollicité. Pour résoudre un souci de douche en panne, d’absence à gérer, de règlement non suivi. Sa mission ressemble à tout, sauf à un emploi de direction classique.
Le dévouement du personnel
Et Dieu dans tout cela? Les réfugiés bénéficient-ils de services religieux au sein du centre? Ludovic Dumont répond par la négative: "Rien n’est prévu, par respect de la neutralité de la Croix-Rouge, mais ils ont la possibilité de prier dans les chambres ou dans les nombreux lieux de culte disponibles dans Tournai."
Cette visite s’achève par une image, celle des poupées russes. Comme un monde en miniature avec ses quelque 50 nationalités, englobé dans ce monde extérieur que l’on retrouve après avoir refranchi les grilles de la caserne. Un univers de vie loin d’être parfait, mais maintenu à l’équilibre par le dévouement du personnel de la Croix-Rouge.
Et puis, "marcher dans une ville d’Europe, c’est déjà ça", pour reprendre Alain Souchon.
Philippe DEGOUY
"Je suis soulagé d’être ici"
Visiter un centre d’accueil ne peut suffire sans en retirer quelques échanges. Avec la présence rassurante de Ludovic Dumont, certains résidents rompent leur méfiance vis-à-vis de l’étranger venu interférer dans leur nouveau monde. Comme Ousmane, jeune Guinéen présent au centre depuis trois ans. Il a quitté son pays en guerre pour rejoindre la Belgique. Derrière son sourire de façade se cache une tristesse, celle liée à sa famille restée en Afrique. Comment vit-il son quotidien en Belgique? "Je suis soulagé d’être ici. Je suis bien et tout me plaît", explique-t-il, malgré ce voile de mélancolie qui recouvre ses yeux.
Autre réfugié accueilli à Tournai, Edeo, dit Monsieur Edeo, se montre ravi de parler de lui. Ce quinquagénaire a quitté la RDC où il était menacé par le régime en raison, dit-il, "de son activisme à défendre les droits humains". Bénévole au sein du centre, il ne souhaite pas retourner chez lui. "Ma place est ici désormais, mon deuxième pays, qui m’a épargné le racisme vécu à mon arrivée en Grèce", dit-il. Deux hommes qui espèrent recommencer une nouvelle vie en Belgique quand leurs démarches auront abouti. La patience est de mise dans les centres.
Ph. D.